Le chanteur tunisien Mortadha connaît aujourd’hui une ascension fulgurante grâce à une dizaine de titres qui jouissent d’une grande popularité. A travers des chansons qu’il écrit et compose, il met en vers ses soucis et ses émois. De rime en rime, il a gagné le cœur de ses fans qui l’idolâtrent, connaissent parfaitement ses mélodies et viennent par milliers le voir sur scène.
Si Mortadha connaît, aujourd’hui, le succès qui lui convient et son talent n’est plus à prouver, sa carrière n’a jamais été un long fleuve tranquille. Dans cet entretien à cœur ouvert, il n’a pas hésité à évoquer sa jeunesse, entre sa passion artistique et quelques souvenirs traumatisants.
Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans le domaine artistique ?
J’ai commencé à apprendre à jouer du luth à la maison des jeunes quand j’étais encore à l’école primaire. Pour l’anecdote, comme je suis issu d’un quartier populaire de Sousse, je cachais mon instrument quand je rentrais des répétitions, de peur d’être ridiculisé par mes camarades, car j’aimais la musique. Ma mère était institutrice et poétesse. J’avais donc l’habitude d’assister avec elle aux rencontres littéraires et j’ai brillamment accompagné au luth les plus grands noms tunisiens. La poésie a toujours occupé une place importante au sein de ma famille et j’ai grandi imprégné de ce lyrisme et des jeux de mots.
Par contre, je subissais des critiques à propos de ma voix. Mes profs de musique ne croyaient pas en mon talent et raillaient ma voix qu’ils jugeaient trop rauque et enrouée pour mon âge. À force de me rabaisser, ils m’ont poussé progressivement à abandonner mes activités à la maison des jeunes. J’ai opté pour un tout autre genre : les chansons des virages. Lassé d’entendre toujours les mêmes refrains, j’ai créé des airs qui ont marqué les matchs et qui étaient repris dans les stades. J’écrivais les paroles et je les mettais en musique à la guitare. C’était un pur bonheur quand on lançait des chants qui couvraient presque toute la durée du match. J’ai donc grandi sans jamais faire partie de ces jeunes qui rêvent de célébrité et de gloire.
Comment avez-vous réussi à surmonter ces attitudes hostiles et renouer avec votre passion pour la musique?
J’étais à la fac dans les années qui ont suivi la révolution. Pendant cette période de bouillonnement, j’étais emporté par des idées utopiques. Mon militantisme au sein des unions d’étudiants a fait que j’ai raté mes études universitaires. Je me suis donc tourné vers la maison des jeunes et je me suis remis à participer aux activités qu’ils organisaient.
À cette époque, personne n’était convaincu par ma voix, mais ils étaient littéralement impressionnés par mon profond désir de réussir. Des commentaires négatifs suite à une prestation sur scène m’ont encore profondément marqué.
Cette rage de vaincre m’a poussé à travailler davantage. A force d’observer les grands musiciens qui m’entouraient, j’ai tourné un premier clip, « Ma Sem ‘ou klemou », avec pour budget quelques centaines de dinars offerts par ma mère qui m’encourageait inconditionnellement. Une vidéo simple, une guitare à la main avec une fenêtre comme objet de décoration. Rien d’extraordinaire à première vue. La musique, les paroles et ma voix ont interpellé les auditeurs. C’était il y a 8 ans.
La chanson a fait le tour des réseaux sociaux et cumule aujourd’hui des dizaines de millions de vues. Ce titre fétiche pour moi exprime ma revanche de jeune amateur anonyme devenu star. J’ai triomphé sur les plateformes digitales et j’ai volé la vedette à ceux qui me raillaient et qui stagnent encore. C’est, finalement, grâce à ma mère que je suis parvenu à vivre de ma passion.
Quand avez-vous décidé d’en faire votre métier ?
Taher Guizani a découvert un tout autre pan de moi. Je lui dois mon premier clip en tant que professionnel.
C’est lui qui a remodelé ma carrière. J’ai fait de véritables expérimentations avec son encadrement. J‘écrivais des chansons et je m’adonnais aux joies de composer mes propres textes à la guitare. Progressivement, je me suis approprié les codes de ma musique et je suis devenu un professionnel confirmé.
Vous êtes monté sur scène à Carthage à plusieurs reprises et vous avez fait le tour des festivals nationaux et même des régions. Est-ce que vous estimez que vous avez atteint tous vos objectifs en Tunisie ?
Même dans le domaine de la musique, celui qui n’avance pas recule. Je dois faire beaucoup d’efforts pour préserver mon capital de fans. Il ne s’agit pas simplement de faire des chansons qu’on écoute, même s’il est difficile de parler de rivalité. On n’a cette floraison d’auteurs, de compositeurs et d’interprètes que dans le rap. Moi, je mets en avant mon goût prononcé pour la chanson tunisienne. Je pense que Raouf Maher est le seul qui fait approximativement ce même style musical. De plus, je voudrais surtout profiter de ma notoriété pour sensibiliser sur les soucis des jeunes tunisiens, pour véhiculer des messages d’amour et de paix, mais aussi pour continuer à mener des actions caritatives, même si je n’ai pas l’habitude d’en parler aux médias.
Vous vous êtes toujours tenu loin des médias. Est-ce un choix de ne pas exposer des fragments de votre vie privée aux fans?
Effectivement. Je ne donne aucun indice sur ma vie privée. J’ai toujours su garder mon jardin secret clos. Je suis discret, loin de la frénésie du showbiz. Je mène une vie simple mais bien entouré. J’ai fait le choix de me soustraire aux mondanités de certains médias. Je n’attire pas la curiosité ardente des réseaux sociaux et je me tiens à distance de tous les tumultes. Je souhaite simplement me faire connaître par ma musique.
Vous avez eu un problème de visa l’année dernière et vous en avez parlé en public. Comment a été le dénouement de cette affaire ?
L’ambassade de France m’a retiré mon visa. J’ai pensé que c’était en rapport avec des déclarations au sujet de la guerre à Gaza. J’ai donc fait une réaction que je juge aujourd’hui impulsive. Après, ils m’ont contacté pour m’expliquer que c’est à cause de quelques anomalies administratives sur mon dossier. C’était donc un malentendu. J’ai déposé un nouveau dossier et j’ai obtenu mon visa, ce qui m’a été très utile pour programmer des concerts en Europe.
Revenons à votre dernier tube, le duo avec la star Nacif Zeytoun. Comment l’idée est-elle née ?
Tout a commencé quand on lui a fait écouter ma chanson « Baba ». C’était un coup de cœur pour lui. Il m’a donc proposé un duo. J’ai écrit les paroles de la chanson qui ont été adaptées pour qu’elles soient plus compréhensibles au-delà de nos frontières. Ce duo, que j’ai considéré au début comme un challenge, a marqué une nouvelle étape dans ma carrière. Nacif Zeytoun est très célèbre et je devais absolument être à la hauteur de ce que le public arabe attend de moi. Nous avons dépassé les 50 millions de vues en moins de 2 mois et le chiffre aurait été plus élevé si la sortie n’avait pas coïncidé avec le début du sinistre au Liban.
Dans ce duo, comme pour le reste de vos chansons, vous tenez à vous exprimer en dialecte tunisien. Ne pensez-vous pas que ça pourrait entraver votre carrière ?
D’autres projets m’attendent après le vif succès de la chanson avec Nacif Zeytoun. Je tente aujourd’hui de m’ouvrir à de nouveaux vents, être en phase avec des productions de haut niveau à l’échelle arabe, quitte à les devancer même, mais en restant attaché au dialecte tunisien. Je ne suis pas prêt à l’abandonner. Je continuerai toujours à écrire tous mes textes. Je ne me vois pas compter sur le travail d’un parolier, tunisien ou étranger. Par contre, je ne m’opposerai pas à des modifications discrètes pour plus de compréhensibilité.