Skip to main content

(Photos : Oueslati Seif Eddine)

Durant le mois de ramadan, la série « Arrière el goddem », diffusée sur YouTube, s’est démarquée par son concept original. Elle est écrite et réalisée par Bassem Hamraoui qui y détient le rôle principal. Nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec le créateur de cette production qui a captivé des millions de spectateurs. Dans cette interview, nous revenons sur l’inspiration de la série ainsi que les coulisses et les défis de sa réalisation.

Comment avez-vous eu l’idée pour « Arrière el goddem » ? Qu’est-ce qui vous a inspiré ?

Ça a commencé avec les petites vidéos que j’ai publiées pour promouvoir la pièce « El Maestro ». J’ai voulu faire des vidéos comiques avec des thèmes rétro pour annoncer les prochaines représentations d’une manière originale. J’ai trouvé d’après les commentaires que le public a apprécié ce concept, notamment la génération des années 80 et 90, ceux qui ont connu le monde sans la technologie moderne. C’est le public lui-même  qui m’a donné l’idée d’une série qui nous replonge dans cette époque. J’ai  pensé au début à développer le concept dans des capsules de 5 min que l’on filme au téléphone. Puis, quand je me suis penché dans l’écriture, mon imaginaire de scénariste a conçu petit à petit de nouveaux axes, de nouveaux décors.. Le rêve s’est agrandi, le budget a augmenté en parallèle .. Puis, pour ramener les spectateurs aux années 90, j’ai ajouté le voyage dans le temps à travers la grotte. Ce sujet est évoqué dans de nombreux autres films américains, égyptiens.. Je ne l’ai pas inventé. C’est juste un prétexte pour retourner en arrière. Le vrai thème, c’est nous faire revivre cette atmosphère tunisienne avec du recul et que l’univers soit si réaliste que l’on s’y attache profondément. D’ailleurs, si le voyage dans le temps est déjà traité, il en est de même pour la trahison, l’amour.. Les situations dramatiques basiques sont connues. Ce qui fait la différence, c’est la manière de les transposer sur écran, depuis l’écriture, l’enchaînement des évènements, la vision du réalisateur, le dosage des ingrédients entre amour, suspense, tragédie..

En regardant les épisodes après le montage, est-ce que vous trouvez que la série incarne pleinement ce que vous aviez en tête ?

La réalisation est par définition une tentative de reproduire cette vision mais on n’y arrive jamais. Ce que l’on imagine pendant l’écriture se heurte souvent à des obstacles de la réalité : des difficultés techniques, budgétaires.. . On essaie de rapprocher l’exécution à l’imagination mais ce n’est jamais identique.

Est-ce qu’on peut considérer que « Arrière el goddem » est une série comique ?

Non. C’est une production dramatique où il y a une part du rire mais aussi des émotions fortes comme le rapport avec les parents, la perte d’êtres chers.. C’est surtout une prise de conscience de l’importance de la famille dans le soutien affectif, la transmission des valeurs…

Est-ce que vous avez proposé la série à des chaînes télé avant de  la mettre sur YouTube ?

Le projet a été conçu dès le début pour la plateforme digitale. Je n’ai pas voulu l’intégrer dans la course effrénée des œuvres ramadanesques. Je suis contre les comparaisons et je trouve que chacun est unique dans ses créations artistiques. On peut dire que c’est une façon de préserver la série et la valoriser. Contrairement aux formats traditionnels de télévision, elle ne sera pas imposée au spectateur. C’est lui qui ira la chercher sur le site et il la regarde à son rythme, à tête reposée, avec concentration et sans publicité.

Est-ce que le succès de la série, notamment le nombre de vues, était attendu ?

Non. Je suis ravi que la série ait rencontré un tel succès. C’est un bonheur de lire tous ces commentaires encourageants. J’ai vu beaucoup d’internautes qui voudraient trouver la grotte et vivre ce retour en arrière à la manière de Helmi.

Comment avez-vous géré la pression budgétaire ?

J’ai ma propre boîte de production. Mais  le capital humain est d’une grande importance. Le soutien de l’équipe, des acteurs talentueux et de l’ensemble de la production a fait une grande différence.

J’ai un réseau d’amis sur lesquels je peux compter et qui m’ont soutenu d’une manière inconditionnelle.

Il y a de grands acteurs qui ont joué dans cette série sans être payés  parce qu’ils ont cru en ce projet. De plus, l’équipe technique a été payée beaucoup moins que dans les productions télévisées comme il y a une autre grille de rémunérations pour les productions digitales.

Qu’est-ce que vous auriez voulu ajouter avec un plus grand budget ?

J’aurais voulu filmer plus de scènes de vie dans les quartiers populaires et les grandes rues de Tunis. Pour les reproduire, il faut des voitures de l’époque, des décors bien plus coûteux…  La costumière est allée chercher les tenues dans les friperies alors qu’avec plus de moyens on aurait pu les faire sur mesure. On aurait aussi voulu avoir une meilleure qualité d’image avec du matériel plus avancé.

Les internautes ont relevé ce qu’ils considèrent comme des erreurs de datation. La série se situe en 1991 alors que des chansons, des produits et des évènements que l’on a vus sont rattachés à une période après 1991. Est-ce que vous avez vérifié tous ces détails ?

Non. Ce n’est pas un documentaire. Nous reproduisons la nostalgie de toute une époque. La datation à l’année près n’est pas obligatoire, surtout que c’est une fantaisie. Mais  ça me fait plaisir de voir que le public est attentionné et qu’il nous suit jusqu’aux moindres détails. C’est un bon signe.

Vous avez des représentations de votre pièce de théâtre « Maestro » en parallèle. Qu’est-ce que vous ressentez quand vous êtes sur scène, face au public ?

J’aime beaucoup ce contact rapproché dans les spectacles vivants et le fait de voir les réactions en direct. C’est une pièce créée il y a presque trois ans mais qui reste toujours ouverte aux modifications, aux improvisations. Elle se joue différemment en fonction du lieu de représentation et elle est remodelée à chaque fois en fonction du background du public.

Avec du recul, et après avoir mené divers projets, est-ce que vous pensez que votre persévérance a abouti ?

Même les grandes inventions scientifiques sont survenues après des tentatives ratées. Les échecs comptent beaucoup pour forger la maturité d’un artiste. Il n’y a que le travail qui paie. L’essentiel  c’est de ne pas passer inaperçu, de laisser un legs de valeur.

Quels sont vos projets futurs ?

Peut-être une deuxième saison de « Arrière el goddem » mais toujours sur le support digital. Je veux transformer la manière dont les gens consomment les séries. Je pense que j’ai ouvert la voie à d’autres projets à venir et j’ai prouvé que ça peut marcher en dehors de la télé. Je veux révolutionner le secteur et inciter les producteurs à  sortir des séries tout au long de l’année. C’est une sorte d’exercice. Nos acteurs et nos réalisateurs se contentent pour la plupart d’un projet unique par an. Or, en multipliant les productions, on s’entraîne, on avance et on a plus de chance d’atteindre un succès au-delà même des frontières tunisiennes. J’ai reçu beaucoup de retours positifs de la part de collègues qui pensent aujourd’hui à partir dans le même sens. Actuellement, j’ai déjà des textes que je veux retravailler dans un atelier d’écriture. C’est le financement qui décide. Je veux continuer à faire des séries familiales. L’essentiel est de continuer à faire rêver les spectateurs.

Laisser une réponse