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De père en fils, les Goubantini ont exercé le métier d’exploitant puis de distributeur. Le dernier de la filiation, Lassâad Goubantini, a ajouté une corde à cette tradition, celle de producteur de films à 100 % tunisiens. Et c’est ainsi que le public tunisien et des familles entières se sont réconciliées avec les salles obscures. Le blockbuster tunisien est né. Nous avons rencontré celui qui l’a lancé.

Vous faites partie de l’aventure de l’exploitation des salles de cinéma puis de la distribution depuis des générations…

En effet, cette aventure a démarré avec les frères Goubantini : mon père Salem Goubantini et mon oncle Jilani Goubantini, en 1962, et puis j’ai repris le flambeau. Ils étaient les premiers exploitants tunisiens après l’indépendance, en ouvrant la première salle à Hammam-Lif en 1962 : le Colisée Hammam-Lif.

Mon père a ensuite ouvert la première salle hors Grand-Tunis; la salle « El Khadhra » à Gabès en 1964 et ainsi de suite jusqu’à arriver à un parc de 30 salles.

Et actuellement que reste-t-il de ces salles ?

Nous disposons actuellement de sept salles dont quatre seulement sont fonctionnelles.

Notons que la Tunisie ne compte au total aujourd’hui, malheureusement, que 12 salles équipées en projecteur numérique.

Pourquoi toute cette déliquescence ?

Parce que dans les plans de développement des gouvernements passés, l’encouragement au développement des salles d’exploitation pour le cinéma ne figure pas parmi les priorités. Alors que, paradoxalement, l’Etat a toujours subventionné la production de films tunisiens. Normalement, lorsqu’on pense à produire des films on doit penser à leur préparer des salles pour les exploiter.

Il y a eu aussi les années VHS et les années «parabole» qui ont eu raison des salles de cinéma.

Lassaad Goubantini et Kais Chekir la rencontre qui a tout changé

C’est quoi la nouvelle menace aujourd’hui ?

Aujourd’hui, nous subissons un autre fléau qui est celui du streaming et de l’Iptv. La crise continue mais le grand écran ne meurt jamais parce qu’il se renouvelle par des films-événements.

De l’exploitation à la distribution… mais comment êtes-vous passé à la production ?

Au fait, à l’époque, mon père et mon oncle donnaient des avances sur recettes pour les films tunisiens, c’était une simple contribution mais c’était aussi une forme de production en quelque sorte. Et moi-même j’ai commencé à produire en 2012 avec un premier film de Habib Mestiri.

Oui, mais pourquoi êtes-vous devenu producteur ?

Tout simplement parce que, en tant que distributeur, je n’ai pas trouvé les films tunisiens qui intéressent les spectateurs tels que je les conçois pour ramener le public et créer une sorte de box-office tunisien. Avec mes respects pour tous les genres de films d’auteurs et expérimentaux, ça reste assez pointu pour le public tunisien.

C’est-à-dire ?

Il y a de la place pour tout le monde, tous les genres et pour tous les films, le cinéma d’auteur et le cinéma grand public peuvent coexister.

Un film tunisien dont le langage et le propos sont très loin de la réalité tunisienne et qui est destiné aux festivals occidentaux n’est pas spécialement destiné à notre marché. Le public tunisien a le droit de regarder des films qui reflètent ses vrais soucis et son vrai monde. Sur un autre plan et ça n’engage que moi, je préfère les films au premier degré, qui soient compréhensibles et pas du tout alambiqués. J’aime la narration et les films de « divertissement », mais j’aime aussi les films intelligents et élaborés lorsqu’ils sont bien faits. On peut faire des films pour défendre des causes mais des films qui soient assimilables par le public, tels que : « Philadelphia » ou « Indigènes » qui sont de grands films et qui soulèvent et mettent la lumière sur des causes, pour ne citer que ceux-là. Le cinéma peut nous cultiver, nous faire voyager très loin tout en nous divertissant.

Salem et jilani gobantini les premiers exploitants et distributeurs tunisiens

Vous attendiez-vous à ce que vos films deviennent des blockbuster made in Tunisia ?

Je m’attendais à ce que ça soit une nouvelle mouture, mais je ne savais pas que ça aurait tant de succès. Je ne m’attendais pas à vivre ce succès et de contribuer à la naissance du blockbuster tunisien. C’est un succès dont la genèse est ma rencontre avec Kais Chekir. Je l’ai connu sur le film « Rebelotte » où j’étais son distributeur. J’étais séduit par l’idée et je les ai fortement soutenus. Lorsque Kais Chekir m’a proposé l’idée de « Sabbek El Khir », je me suis lancé dans l’aventure et le train étant sur les rails nous avons lancé « Super Tounsi » et « Sahbek Rajel ». Je dirais que c’est le plus grand succès commercial du cinéma en Tunisie et le fait que nous l’avons décliné en sitcom, c’est simplement dans un souci de rentabilité vu le petit parc des salles. Il n’y a pas de honte à faire des films commerciaux et moi j’aime les appeler films grand public, c’est plus adéquat et plus juste comme nomination, car tous les films sont exploités dans le circuit commercial en Tunisie et on ne dispose pas de label film d’auteur ou/et cinéma art et essai. Ce sont aussi des films qui ont réconcilié le public avec les salles de cinéma et qui se regardent en famille, petits et grands ensemble devant le grand écran.

Ça coûte cher de produire ce genre de films ?

Oui, il faut un très bon investissement ! Pour certains, les films commerciaux ne coûtent pas cher mais bien au contraire, c’est là où il faut savoir investir le plus pour séduire le spectateur. Dans « Sahbek Rajel » il a fallu avoir recours à des spécialistes chinois pour réussir les cascades, sans compter le casting qui est basé sur des acteurs « tête d’affiche ». Avec ce genre de films, il ne faut pas faire dans le « cheap ».

Mais de la sorte vous ne voyagez pas dans des festivals européens pour poster vos photos sur facebook et vos films n’ont pas de prix ! D’autres entreraient en déprime pour ça ! 

Il y a des festivals aussi pour ce genre de films et peut-être un jour cela arriverait, pourquoi pas.

Mais le plus grand prix pour moi et la plus grande récompense c’est le succès du film auprès du public. Ça fait de moi un producteur très heureux.

Je vois aussi que mon rôle de producteur et de distributeur avec d’autres collègues consiste a installer une vraie industrie cinématographique tunisienne. Installer des rendez-vous annuels avec le public, c’est assurer un gagne-pain pour des centaines de familles qui travaillent dans le cinéma et pourquoi pas s’exporter pour de nouveaux marchés.

Quel est votre plus gros souci aujourd’hui ?

Le piratage ! Je demande au public tunisien de nous soutenir dans ce sens et d’aller regarder les films dans les salles. D’autant plus qu’en Tunisie nous n’avons pas les moyens techniques pour protéger nos films.

Quels sont vos futurs projets ?

Nous sommes en train de travailler sur plusieurs projets de films et de feuilletons pour la télé, dont un film romance-musical avec Nordo et Salma Rachid, ainsi qu’un film d’horreur avec Souhir Ben Amara, et une  production musicale  spectaculaire pour enfants.

Salem Trabelsi

Rédacteur en chef principal, La Presse

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