Entretien conduit par Salem Trabelsi et Amal BOU OUNI |
Comédien accompli, Riadh Hamdi s’est illustré avec brio aussi bien sur les planches qu’à l’écran. Ces dernières années, il a enchaîné des rôles complexes qui confirment sa grande polyvalence. Entretien avec cet acteur qui a séduit le public par sa présence imposante et l’intensité de son jeu.
Cela fait un moment que vous n’êtes pas monté sur scène. Ce choix vient-il de vous ou du théâtre ?
C’est en réalité un peu des deux. Il y a des raisons qui me sont propres, et d’autres qui relèvent du fonctionnement du milieu théâtral. Si l’on regarde ma situation objectivement, cela fait plus de 15 ans que je fais l’aller-retour entre Tunis et Le Kef.
Vivre du théâtre est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible. C’est une activité peu rentable et il suffit de voir la précarité dans laquelle vivent bon nombre d’artistes indépendants. J’en faisais partie. J’avais l’espoir, au départ, de m’investir pleinement dans la création théâtrale, mais j’ai rapidement été confronté à une réalité dure, voire brutale. Fonder une famille exige un minimum de stabilité et de ressources. Je ne vis pas dans l’opulence, mais il y a un seuil de dignité que je refuse de franchir. Au début, je n’ai pas voulu devenir enseignant. Puis, j’ai fini par accepter un poste. Un choix que j’ai finalement perçu comme un cadeau empoisonné, une stabilité financière au prix de nombreuses contraintes.
C’est un véritable déchirement, notamment à cause de l’éloignement. Le théâtre, c’est aussi une activité qui demande du temps libre, un espace mental disponible pour créer, écrire, concevoir. Il faut des moyens, mais surtout de l’équilibre personnel pour pouvoir offrir un travail cohérent. C’est un investissement continu, des mois de recherche et de préparation pour à peine une heure de représentation. Ma dernière mise en scène remonte à 2015. Et, au-delà des difficultés matérielles, j’ai aussi été confronté à des mentalités auxquelles je n’étais pas préparé.
Ces mentalités que vous venez d’évoquer vous
ont-elles causé des problèmes ?
Oui, cela m’a mis face à de vraies difficultés. Gérer une troupe n’est jamais simple, surtout quand les membres ont chacun leurs propres engagements en dehors du projet théâtral. L’investissement n’est pas toujours au rendez-vous. Certains manquent de coopération, d’engagement, ou ne suivent pas les directives du metteur en scène qui est le maître de l’œuvre. Il arrive même que cela débouche sur des tensions, voire des confrontations qui nuisent à l’esprit de groupe et à la progression du travail. Avec le recul, je pense aussi que j’étais très exigeant à l’époque, peut-être trop. Et je reconnais que je ne disposais pas encore des outils nécessaires pour instaurer un véritable leadership au sein de la troupe.
Vous êtes finalement dans le domaine audiovisuel et on vous a vu dans de nombreuses séries. Pourquoi vous n’êtes pas très présent sur grand écran ?
J’ai fait quelques expériences dont la plupart sont dans des courts métrages, mais je n’ai pas encore décroché de grands rôles dans le cinéma.
Selon quels critères choisissez-vous les rôles ?
En Tunisie, on n’a pas toujours le luxe de choisir ses rôles. Il arrive qu’on accepte des projets qui ne nous correspondent pas, simplement pour continuer à travailler et rester actif dans le milieu. Pour ma part, j’essaie toujours de comprendre la vision du réalisateur, de m’adapter. J’apporte parfois des suggestions, mais elles ne sont pas systématiquement bien accueillies. Certains réalisateurs, surtout ceux issus du monde de la publicité, considèrent l’acteur comme un simple objet à placer dans le cadre, ce qui peut être frustrant. Je ne suis pas contre les petits rôles ou même les apparitions qui peuvent être marquantes mais je tiens à avancer dans ma carrière.
De tous ces rôles que vous avez campés, quels sont vos préférés ?
Il y a sans doute celui de Tarek dans « Maestro » et celui de Majid dans les deux saisons de « Harka ». Ce sont des expériences très fortes, notamment grâce à ma collaboration avec Lassâad Oueslati. L’échange d’idées était fondamental ainsi que l’énergie partagée sur le plateau. C’est à ce moment-là que j’ai compris à quel point il est essentiel de travailler avec un réalisateur qui vous comprend, qui vous implique réellement dans la construction du personnage, dans les détails du tournage. Lassâad sait comment stimuler un acteur, comment le pousser à donner le meilleur de lui-même. Il y a aussi le rôle d’Ammar, le policier dans « Porto Farina » de Brahim Letaïef. Une expérience très originale. Le personnage avait une dimension comique inspirée du cinéma italien. Il y avait donc une vraie matière à exploiter, ce qui m’a donné beaucoup de liberté pour m’approprier le rôle.
Quel regard portez-vous sur les séries ramadanesques arabes ?
Dans l’ensemble, je les trouve plutôt moyennes. Très peu d’entre elles m’ont réellement marqué ou donné matière à réfléchir. Pourtant, même un thème déjà vu peut être revisité de manière originale, à condition d’y apporter un regard neuf. Le vrai problème réside, selon moi, dans le manque de créativité. Le thème de l’immigration clandestine a été largement exploité avant « Harka », mais ce qui a distingué cette série, c’est sa manière d’aborder le sujet. La question, ce n’est pas seulement quoi raconter, mais surtout comment le raconter et avec quel degré de vérité.
Finalement, la diversité des productions est une bonne chose en soi. Mais la motivation première est souvent purement financière. Il nous faut des créateurs qui possèdent une profondeur, une vraie sensibilité artistique et une vision presque poétique du métier.
En Syrie, auparavant, et aujourd’hui en Turquie, les feuilletons donnent envie de découvrir le pays et stimulent même le tourisme. C’est ce niveau de réflexion et d’impact qu’il faut viser chez nous.
Pensez-vous que les acteurs doivent forcément venir du théâtre ou peut-on accepter des talents venus d’autres horizons ?
Il y a une règle et puis il y a les exceptions. En général, les grands acteurs, même ceux qui ont connu un succès international, sont passés par le théâtre. C’est là que se forment les bases solides qui complètent le talent inné. Mais il existe aussi des cas atypiques. Des figures comme Charles Bronson ou Marlon Brando, par exemple, n’ont pas suivi de formation classique, et pourtant ils ont marqué l’histoire du cinéma. Brando, en particulier, a inspiré tout un courant, l’Actor’s Studio, par la force brute de son jeu. Un bon acteur cède une part de son identité, de son être au profit du personnage qu’il incarne. Donc oui, on peut accepter des talents venus d’ailleurs.
Mais, une véritable formation est un atout incomparable. Elle fait que l’acteur puisse contribuer à l’écriture du scénario, aux dialogues, qu’il soit capable de tenir une discussion profonde et constructive.