Entretien conduit par Salem Trabelsi et Amal bou ouni |
Photographe passionné depuis plus de 15 ans, Hichem Kaouane met en lumière des paysages naturels tunisiens et des lieux chargés d’histoire. Entre terrains escarpés, forêts changeantes et lumières saisonnières, son objectif capture la beauté brute de sites parfois méconnus, révélant leur richesse avec sensibilité et précision. Rencontre avec un artiste de l’image qui sublime le réel.
Vous êtes photographe-infographiste. Laquelle de ces deux appellations préférez-vous ?
Actuellement, je préfère être identifié comme photographe. Je suis donc un photographe confirmé et un infographiste initié. J’ai suivi une formation en multimédia à l’ISAM et j’ai débuté ma carrière en tant qu’infographiste et photographe industriel. Avec le temps, le stress professionnel m’a poussé à chercher un certain équilibre. J’ai commencé à partir en randonnées, à faire du camping… Et, chaque fois que j’étais accompagné de mon appareil photo, je prenais des clichés que je gardais comme souvenirs de ces moments d’évasion. À force, la photographie a pris de plus en plus de place dans ma vie jusqu’à devenir mon activité principale.
Comment définissez-vous votre relation avec votre appareil photo ?
Je dirais que c’est une vieille connaissance fidèle qui sait capturer les instants précieux. Il m’arrive de revoir une photo prise il y a dix ans, un paysage, un moment… et toute l’histoire de cette époque ressurgit en moi. Mon appareil photo, c’est aussi un témoin discret de la richesse naturelle de notre pays encore trop peu documentée.
C’est mon compagnon de route, celui qui m’aide à figer dans le temps la beauté qui m’entoure.
Êtes-vous plus attiré par les paysages ou les portraits ?
J’ai réalisé des portraits principalement pour des raisons financières. C’est une activité qui me permet de générer des revenus.
Mais ma véritable passion, ce sont les paysages. Il fut un temps où je frappais à toutes les portes pour proposer mes services. Aujourd’hui, j’ai atteint une certaine stabilité matérielle. Photographier des paysages reste pour moi une démarche profondément personnelle et passionnée, même si elle est moins rentable que les portraits ou les événements. C’est un compromis constant entre mes convictions artistiques et les réalités économiques, notamment quand on sait à quel point le matériel photo est coûteux en Tunisie.
Quels sont, selon vous, les critères d’une bonne photo de paysage ?
Je dirais surtout un bon positionnement, l’équilibre de la lumière et, bien sûr, la force du sujet lui-même. Je privilégie les lieux peu explorés, peu photographiés. Ce sont souvent des endroits difficilement accessibles, mais qui offrent une authenticité rare. J’aime sortir des sentiers battus et proposer un regard neuf.
Comment choisissez-vous vos cadres ?
Souvent, c’est le fruit du hasard. Lors de sorties, notamment dans des zones touristiques, je suis parfois accompagné par ma femme. Ce sont des moments de détente à la base, mais j’en profite toujours pour capturer des images.
La Tunisie possède un patrimoine d’une richesse incroyable. Prenez Djerba, par exemple. J’y suis allé sept fois et je n’ai toujours pas fini de la découvrir. Il y a toujours un coin inédit, un détail nouveau, un angle qui me surprend. C’est cette sensation d’émerveillement qui me pousse à y revenir encore et encore.
Dans ce rapport passionnel avec les paysages, lesquels vous ont le plus marqué ?
Les forêts du Nord-Ouest sont exceptionnelles. Bni Mtir n’arrête pas de me surprendre. Je découvre à chaque fois de nouveaux sentiers, de nouveaux panoramas. Le site change en continu au fil des saisons.
Il y a eu une période de sécheresse. Mais, cette année, il est encore plus embelli grâce aux précipitations. La forêt n’est pas accessible dans son intégralité et il nous arrive même de nous égarer.
Il y a donc ce côté aventure, évasion, déconnexion, surtout sans réseau mobile. J’ai l’habitude d’y aller avec des amis et je reviens parfois avec 800, voire 1.000 clichés. C’est un énorme travail de tri.
Est-ce qu’il y a des clichés qui vous tiennent plus à cœur ?
Je ne fais pas vraiment de distinction. Mais, parfois, certains clients me demandent une photo en particulier.
J’ai des clients étrangers qui sont profondément attachés à la Tunisie sans même l’avoir visitée. Je sens que mes photos touchent quelque chose de profond en eux. Récemment, une photo de Bni Mtir que j’ai prise a été achetée par une revue qatarie. Je ne m’attendais pas du tout à la retrouver publiée dans un magazine de philosophie.
Peut-on ainsi déduire que les photographies sont le meilleur ambassadeur de la Tunisie à l’étranger ?
Évidemment. C’est ce qui attire le plus les visiteurs. Il y a des boîtes et des photographes indépendants turcs, grecs, d’Europe de l’Est et bien d’autres qui font de très beaux clichés de notre pays et les vendent. Ils profitent du beau temps et du matériel sophistiqué qu’ils possèdent. Le reste est facile. C’est pourtant notre responsabilité de faire le marketing de notre propre pays.
Qu’est-ce qui manque aux photographes tunisiens pour atteindre une renommée internationale ?
Le côté financier pour l’équipement et la communication, c’est ça le mot d’ordre. Pour participer à des concours, se présenter à de grands événements afin de se faire connaître, il faut un investissement, un capital. Il faut aussi suivre l’évolution technologique du matériel.
Mes photographies sont souvent publiées sur les réseaux en mode sponsorisé, ce qui implique un paiement. Il y a un retour de la part de Tunisiens et d’étrangers qui posent des questions sur les circuits, les plages… Cependant, je tiens à préciser que je ne fais pas toujours un travail à but lucratif. D’ailleurs, je l’ai longtemps fait juste pour le plaisir, sans objectif professionnel.
Si l’on parlait en pourcentages, quelle est la part du côté humain et du côté technique dans ce que vous faites?
Je dirais que c’est du 50/50. Il y a une grande différence entre quelqu’un qui fait ce métier par passion et quelqu’un qui le fait par obligation. L’aspect humain est fondamental. Il faut de la sensibilité, un regard et une créativité. Le matériel, c’est un outil, un acquis. Ce qui distingue un photographe d’un autre, ce n’est pas l’appareil, c’est la vision. Bien sûr, on peut investir jusqu’à 15 000 dollars dans du matériel sophistiqué, ce qui permet parfois d’éviter des étapes de post-traitement. Mais le cadrage, le choix du moment et l’émotion captée restent purement humains. J’ai réussi à toucher un large public, y compris une clientèle professionnelle, alors que je disposais de moyens techniques modestes. C’est bien la preuve que la sensibilité prime sur l’équipement.