En aparté avec un responsable de premier plan dans la télécommunication en Tunisie, j’avais posé la question de savoir pourquoi on ne permettrait pas tout de suite à Starlink, l’Internet par satellite de Elon Musk, de travailler sur le territoire tunisien. Pour moi, il était évident qu’il fallait le faire le plus rapidement possible pour être au diapason de la technologie et permettre une connexion de très haut débit. Cependant, la réponse du responsable m’a donné matière à réfléchir, car, pour lui, la question de l’Internet par satellite pose une vraie question de souveraineté. «Pour moi, les liaisons par câbles sont plus sûres pour notre souveraineté numérique», m’a-t-il dit.
12.000 satellites suspendus au-dessus
de nos têtes
Lancé par SpaceX, le projet Starlink promet une connectivité Internet haut débit partout sur la planète grâce à une constellation de milliers de satellites en orbite basse (proches de la Terre). Cependant cette innovation soulève de vives inquiétudes quant à la souveraineté numérique des Etats, en termes de dépendance technologique, ou de contrôle des infrastructures.
Avec ses 12.000 satellites, et une ambition d’en déployer jusqu’à 42.000 d’ici la fin de la décennie, Starlink veut clairement dominer Internet dans les prochaines décennies, avec évidemment une promesse de démocratisation d’Internet. Mais la menace plane, celle d’une perte de contrôle sur les infrastructures, des infrastructures placées à quelques milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes, autant vous dire, qu’en cas de panne, pas la peine d’appeler le technicien télécom pour trouver une solution.
Pour expliquer cela avec un exemple concret, il faut penser à l’enjeu politique et géostratégique, puisque si un pays confie son Internet à un opérateur qui n’est pas hébergé sur notre sol, il ne sera pas à l’abri d’un black-out politique ou mû par des considérations qui échappent au pays. Il y a déjà un précédent aujourd’hui, celui de l’Ukraine qui illustre de façon édifiante les risques liés à la dépendance à une infrastructure étrangère. Depuis le début de son conflit avec la Russie, l’armée ukrainienne s’appuie massivement sur Starlink pour assurer ses communications, mais cette dépendance rend une coupure du service par SpaceX ou sous pression politique américaine un levier de négociation stratégique, voire carrément comme une arme géopolitique. Evidemment, nous ne disons pas ici qu’il ne faut pas penser à déployer cette technologie sous nos cieux car on n’échappe pas au progrès. Cependant, ce n’est pas une décision à prendre à la légère. Une telle décision devra être accompagnée d’une réflexion profonde autour de la souveraineté numérique. Légiférer, s’il le faut, pour établir des garde-fous, l’idée est tentante, sauf qu’un pays comme le nôtre n’a pas un pouvoir de négociation conséquent avec un géant comme SpaceX. La réponse devra donc être collective, maghrébine, arabe, africaine ou même mondiale si cela est possible.
Un premier essai
En octobre 2023, la Tunisie a officiellement lancé une phase d’essai de connexion Internet par satellite Starlink, simplement une expérimentation, menée par le ministère des Technologies de la communication, qui s’est déroulée sur trois sites pilotes situés à Tunis, Ariana et Gabès.
L’objectif était d’évaluer la qualité du service, les débits offerts et la faisabilité technique de cette solution pour améliorer la connectivité, notamment dans les zones mal desservies par les réseaux terrestres. À cet effet, pendant trois mois, les autorités tunisiennes ont pu tester gratuitement les équipements fournis par Starlink, dans le cadre d’un accord conclu à l’été 2023 avec la société américaine.
Dans une première phase, il est peut-être judicieux de penser Starlink pour les zones qui souffrent de manque ou d’absence de connexion. En attendant, mieux vaut faire confiance à nos bons vieux câbles de mer pour rester connectés.