Le trompettiste et compositeur franco-libanais Ibrahim Maalouf a été en Tunisie pour un concert très réussi dans le cadre du Festival international de Carthage. À tout juste 45 ans, il cumule déjà des distinctions prestigieuses dont quatre Victoires de la musique, un César, deux nominations aux Grammy awards et les titres honorifiques de Chevalier de l’Ordre du Mérite et Chevalier des Arts et Lettres. Dans cette interview, il nous partage ses inspirations et nous dévoile sa façon d’envisager la musique instrumentale.
Votre concert au Festival international de Carthage ne marque pas votre première venue en Tunisie. Il y a environ vingt ans, vous aviez déjà partagé la scène avec le public tunisien. Qu’est-ce qui a évolué en vous depuis ce premier passage ?
Tellement de choses ont changé ! J’ai grandi, j’ai eu trois enfants.. Ma musique a changé, le monde autour de nous a changé ! En fait, ma musique change tout le temps, d’album en album. Chaque album est une nouvelle aventure, chaque rencontre crée quelque chose de nouveau.
Vos compositions mêlent des influences orientales, occidentales, africaines… Lors de vos concerts en Occident, avez-vous parfois le sentiment que le public s’attend à une certaine image stéréotypée simplement parce que le terme « oriental » est associé à votre musique ?
Je ne mets jamais le mot « oriental ». Ce sont plutôt les journalistes qui l’utilisent. Je dis que c’est un mélange de plein de styles de musique du monde entier, plein d’influences. Ce sont les gens qui décident que c’est du jazz, de l’oriental.. Personnellement, je n’ai jamais mis de mots dessus.
Vous êtes donc contre la catégorisation de votre musique ?
Je ne suis pas vraiment contre. C’est comme pour quelqu’un qui cuisine, qui fait des mélanges d’ingrédients et les gens décident que c’est une pizza, d’autres diraient que c’est une tarte.. Chacun donne la définition qu’il veut en fonction de son point de vue. Ma musique se construit à partir de diverses inspirations, structurée autour de deux éléments clés : le côté arabe que vous appelez « oriental » et le côté occidental. Quand je suis en occident, on me dit votre musique est très influencée par la musique arabe. Quand je suis dans un pays arabe, on me dit votre musique est très influencée par la musique occidentale. Chacun a donc son point de vue et chacun va analyser les choses à sa façon. Pour moi, c’est de la musique tout court.
Quand vous composez vos albums, qu’est-ce qui vous inspire ? Est-ce un évènement ? Une note ? Quel est le point de départ ?
Pour être honnête, ce qui m’inspire le plus, ce sont les rapports humains. Ce sont les gens, leurs parcours, les vies que je croise, les drames, les joies, les mariages….
On a le sentiment que vous avez redéfini la musique instrumentale. Votre concert à Carthage ne s’est pas résumé à une simple succession de morceaux. C’était un véritable show. Comment percevez-vous aujourd’hui la musique instrumentale à travers votre propre démarche artistique ?
Je pense que la musique instrumentale est très sous-estimée. Si vous écoutez la radio, par exemple, on la passe très peu. En France, sur les radios généralistes, même les grandes chaines, il n’y a jamais eu de playlist de musique instrumentale. Moi, personnellement, je n’ai jamais été playlisté en France. Il n’y a pas de place pour la musique instrumentale ce qui fait que les gens ne la connaissent pas. Mais, dès qu’on commence à la découvrir, il y a tellement de choses possibles. L’avantage de la musique instrumentale, c’est aussi qu’il n’y a pas de langue et que ça parle à tout le monde.
Il y a eu aussi une part de narration dans votre spectacle, un fil conducteur entre les morceaux…
C’est vrai que je parle beaucoup pendant mes concerts parce que c’est important d’expliquer ce qui va être joué. Sans parole, il n’est pas évident de saisir le sens des morceaux. J’essaie donc de raconter en espérant que le public comprenne et apprécie la musique.
Est-ce que le concert que vous avez donné à Carthage a été à la hauteur de vos attentes ?
Oui, bien sûr. Le public a été adorable.
Pendant votre concert, nous avons entendu un air de « Sidi Mansour ». Est-ce que c’était fait sur mesure pour cet évènement ?
Oui. C’est ma manière de dire merci au public tunisien.
Est-ce qu’on pourrait vous voir bientôt dans des collaborations avec des artistes tunisiens ?
J’ai déjà travaillé avec des Tunisiens, mais c’est vrai que je n’en parle pas beaucoup.
Vous êtes très impliqué dans des activités humanitaires. Des sources sur internet rapportent même que vous avez une fondation en votre nom. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je n’ai pas de fondation, ou du moins pas encore. Je mène plusieurs activités à la fois. Tout d’abord, il y a l’enseignement. J’enseigne depuis l’âge de 17 ans et je suis passé par beaucoup d’établissements différents qui vont des conservatoires municipaux des régions aux conservatoires nationaux et aux universités.
C’est un domaine qui me semble très important parce que c’est la manière par laquelle on transmet aux générations d’après ce qu’on fait. Je suis très impliqué là-dedans. Après, à chaque fois que je l’ai pu, j’ai essayé de participer à des initiatives humanitaires. C’est souvent en rapport avec des évènements importants, comme par exemple l’explosion du port de Beyrouth qui a ravagé une partie de la ville. Il y a eu malheureusement beaucoup de victimes dont des d’enfants qui ont eu des blessures par verre au niveau des mains et du visage. J’ai essayé de faire tout ce que je pouvais pour les aider. On a collecté deux millions d’euros en France en organisant un très grand concert à la télévision.
Si vous évaluez votre carrière jusqu’à l’instant avec tous les prix que vous avez gagnés, de quoi rêvez-vous encore ?
J’ai simplement envie de pouvoir continuer à faire mon métier. J’ai déjà une chance incroyable de faire ce métier. Il y a des milliers de musiciens dans le monde qui rêveraient de faire des concerts et d’avoir un public. Moi, j’ai eu cette chance aujourd’hui. C’est un cadeau de la vie et j’espère continuer à le faire le plus de temps possible. Je pense que c’est déjà un projet très ambitieux.