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Figure incontournable de la scène musicale tunisienne, Zied Gharsa s’est imposé depuis des décennies comme l’un des grands défenseurs du malouf. Musicien accompli, compositeur, chanteur et pédagogue, il incarne aujourd’hui un lien précieux entre mémoire et modernité. À travers ses concerts, ses recherches, ses enregistrements et plus récemment la création de sa propre académie artistique, il ne cesse de valoriser et faire rayonner une musique profondément enracinée dans notre identité culturelle. Entretien.

Pensez-vous que le malouf peut encore séduire un large public et résister à l’influence croissante des nouveaux courants musicaux ?

Pour ma part, je ne suis pas opposé à ces tendances émergentes. Il y aura toujours des vagues passagères, souvent soutenues par de grandes maisons de production à l’échelle mondiale. Cela ne concerne donc pas uniquement la Tunisie. La différence, c’est que dans les pays où l’industrie musicale est plus développée, les traditions qui font leur spécificité sont préservées et valorisées. À partir de cet ancrage culturel, ils développent de nouvelles tendances qui, en plus d’être rentables, s’exportent avec succès jusque chez nous. Nous sommes ainsi inévitablement influencés par ces vagues. Notre véritable responsabilité, dans ce sens, c’est de préserver notre patrimoine. Le malouf en est un pilier essentiel. Il ne suffit pas de le jouer occasionnellement en concert. Un travail de documentation et de valorisation académique bien structuré aurait dû être entrepris depuis longtemps. À défaut, ces effets de mode risquent de désorienter notre scène musicale. Et, à terme, nous pourrions perdre ce legs culturel précieux. Il est aussi de notre devoir de renouer avec les jeunes et de raviver leur intérêt. C’est ce que j’essaie de faire à ma manière lors de mes concerts.

On assiste de plus en plus à des spectacles mêlant électro et malouf, funk et malouf, ou encore rock et malouf. Quel est votre regard sur ces croisements musicaux ?

Je n’y vois aucun inconvénient. Au-delà de l’évaluation strictement artistique, il s’agit simplement d’une autre vision du malouf différente de la mienne, mais qui présente de réels atouts.

On peut faire un parallèle avec des projets comme «Ziara» ou «la Hadhra» qui s’inspirent de la musique soufie et ont su conquérir un large public. En revanche, la version originelle de cette musique reste, elle, plus difficile d’accès. L’essentiel, à mon sens, est de conserver les fondations par la documentation. Ensuite, chacun est libre de construire autour de cet héritage, de s’approprier cette musique, d’y apporter sa touche, ses innovations…

Lors des festivals d’été, on a vu émerger de nouveaux artistes et retrouver d’anciens noms après une longue absence. Quel regard portez-vous sur ces événements ?

Concernant les nouveaux artistes, je les ai surtout découverts à travers les réseaux sociaux. Je dois admettre que je suis assez éloigné de ces univers musicaux très différents de ce que je fais. Je ne suis donc pas en position de porter un jugement artistique sur leur travail.

En revanche, j’ai été particulièrement touché par le retour sur scène de certains grands noms de la chanson tunisienne. Je pense notamment à Sofia Sadok, une véritable icône nationale. À mes yeux, elle mérite une place prioritaire dans nos grands festivals, d’autant plus face à des artistes étrangers, car elle incarne une carrière remarquable et possède des qualités artistiques indiscutables. Les critiques qu’elle a essuyées me semblent liées en partie à sa longue absence. Il faut aussi tenir compte des difficultés souvent invisibles du grand public, les contraintes techniques, les imprévus en coulisses… Je lui apporte tout mon soutien. J’ai la conviction qu’elle reviendra très prochainement avec de grandes prestations qui feront oublier les quelques aléas rencontrés à Carthage.

Parlons de votre académie. Est-elle spécialisée dans le malouf ?

Non, pas exclusivement. L’académie englobe plusieurs genres musicaux et disciplines artistiques. Bien sûr, nous enseignons le malouf dans sa forme authentique, afin de préserver notre identité culturelle et de communiquer un savoir que j’ai accumulé au fil de quarante années de carrière.

Dès le départ, nous avons vu grand. Nous avons voulu poser des bases solides en y intégrant également la musique soufie, la soulamia, la issaouia… Tous ces genres que beaucoup souhaitent apprendre, mais pour lesquels il n’existe presque aucun cadre spécialisé.

Nous abordons aussi la musique bédouine, avec ses chants traditionnels, ses maqâms… Des répertoires que le public ne connaît souvent qu’à travers leur version commerciale, alors qu’ils sont en réalité bien plus riches et complexes. Les passionnés et les mélomanes ont tout intérêt à les découvrir dans le respect des véritables règles musicales.

Mais l’académie ne se limite pas à la musique. Nous avons également des pôles dédiés aux arts plastiques, aux arts de la scène, ainsi qu’un espace consacré à la poésie. Nous voulons y travailler sur l’écriture de textes musicaux, afin de faire émerger les paroliers de demain.

Nous proposons aussi des formations en techniques du son pour lesquelles nous avons investi dans le matériel informatique nécessaire pour garantir une formation de qualité. Ce n’est encore que le début comme nous avons l’ambition d’élargir encore le projet à d’autres domaines artistiques.

Allez-vous enseigner vous-même ou vous contentez-vous de diriger le projet ?

J’enseigne moi-même, évidemment. C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle j’ai créé cette académie. Si je ne m’y impliquais pas personnellement, cela deviendrait un simple projet commercial, or ce n’est absolument pas notre objectif. Notre vocation est culturelle avant tout. Cette académie est pensée comme une pépinière artistique, un espace de transmission où je peux partager tout ce que j’ai appris au fil de mon parcours.

Y a-t-il un âge limite pour apprendre au sein de votre académie ?

Nous nous concentrons principalement sur les jeunes, car ce sont eux les porteurs de demain. Mais pour nous, il n’y a pas d’âge pour apprendre. La passion de la musique et des arts n’a pas de limite d’âge. Toute personne motivée est la bienvenue.

Vous partez bientôt à Constantine pour le Festival du Malouf. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Oui, je suis honoré de jouer le spectacle d’ouverture, sur invitation du ministère algérien de la Culture. J’y représenterai la musique tunisienne et j’aurai le plaisir d’être rejoint sur scène par des musiciens algériens avec qui nous interpréterons ensemble une sélection de notre patrimoine musical tunisien. C’est un moment d’échange culturel important et je suis heureux d’y participer.

Pour une partie du concert, je serai accompagné au chant par Adlène Feragni, un jeune artiste prometteur que je respecte beaucoup.

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