Skip to main content

Stigmatisation ou charme singulier, les oreilles décollées n’ont jamais laissé indifférent. Ils cristallisent les jugements et attirent les regards. Détail anatomique pour les uns, complexe tenace pour les autres. Décryptage d’un détail qui ne manque pas de faire parler… ni d’écouter.

Quand la différence se voit dès la naissance

Dès les premiers instants de vie, chaque bébé est observé avec émerveillement : ses traits, ses mimiques, ses cris… tout fascine. Cependant, il arrive que certains traits attirent davantage l’attention, non pas vers une beauté angélique mais vers une petite créature différente du commun qui sème la crainte et suscite les inquiétudes, à cause d’un simple détail, tels que les oreilles décollées. Environ 5% de la population a des oreilles plus ou moins décollées. Cette forme particulière des oreilles est souvent héritée, ou due au maintien d’une position anormale du pavillon, notamment lors du sommeil. Par ailleurs, aucune exploration n’est nécessaire car il s’agit d’une simple anomalie morphologique sans conséquence sur l’ouïe et ne s’accompagne pas de problème de santé particulier.

Quand les mots laissent des marques

«Il est trop mignon avec ses grandes oreilles !» ; «mon fils l’appelait Dumbo, c’était blessant, il n’osait plus aller à l’école» : «oreilles en feuille de choux »… des remarques désobligeantes et des surnoms vexants qui sèment le doute, et suscitent l’intimidation et l’inquiétude chez les parents. Puis au fil du temps, cela crée un mal-être psychologique et des complexes ancrés chez les enfants, qui peuvent mener au refus social et à une phobie de se montrer aux autres. Même si l’intention n’est pas toujours malveillante, l’impact est réel : l’enfant refuse de se prendre en photo, les filles se coiffent d’une manière à cacher leurs oreilles et redoutent les coupes de cheveux courtes. Quant aux garçons, démunis de cette solution, ils évitent le regard des autres et souffrent profondément et en silence. Les regards d’autrui finissent par modifier le regard que l’enfant porte sur lui-même, ce qui affecte la construction de sa personnalité et l’affirmation de son existence. Il vit une détresse silencieuse sans rien dire à la maison, mais son comportement change. Il devient plus réservé, évite les activités sociales ou pleure sans raison apparente. Toutefois, cette différence physique peut être vécue d’une manière très indifférente et bien acceptée par certains.

Et si c’était notre regard qui devait changer ?

On ne parle pas ici d’un réel handicap, ni d’un danger pour la santé. On parle d’un détail visible, qui devrait être inoffensif, mais en réalité, il est une source de moqueries et de complexes même s’il peut être camouflé, ce qui amène au recours à des interventions chirurgicales dès le très jeune âge. Cela en dit long sur notre société, malgré sa diversité, ses exigences esthétiques sont parfois cruelles voulant mettre les individus dans un même moule, et répondre aux caractéristiques d’un même modèle ethnique. Il paraît que les petites oreilles, discrètes et bien façonnées avec leurs creux et reliefs sont le seul modèle admis et accepté. Autrement, le regard devient accrocheur et remarquable, qui désormais devrait changer en un plus doux et inaperçu, mais pas forcément attendri.

Dans le fond, l’histoire des oreilles décollées n’est pas seulement celle d’un pavillon d’oreille qui se dégage du crane avec un cartilage mal façonné ayant des reliefs effacés et une conque (concavité du pavillon de l’oreille près du conduit auditif) creuse et marquée. Elle soulève des questions bien plus profondes : Pourquoi avons-nous tant de mal à accepter ce qui sort du commun ? Pourquoi une différence de l’apparence, aussi légère soit-elle, dérange-t-elle parfois autant ? Et si nous nous mettions à la place de l’autre ?

Cultiver la bienveillance dès l’enfance

Les enfants, dès la maternelle, dans la cour de récréation, ou tout simplement lors des rencontres, identifient très vite les différences et commentent avec une grande spontanéité sans tenir compte de l’impact des mots prononcés ni prêter attention aux grimaces exprimées. Bien que ce soit l’âge de l’innocence, la cruauté des mots enfantins n’a parfois rien à envier à celle des adultes. Les différences visibles peuvent rapidement devenir un prétexte aux moqueries à l’école, alimentant honte et rejet. Une oreille qui dépasse ? Cela peut vite devenir un surnom. Ce vécu peut laisser des traces durables sur l’estime de soi et le développement psychologique. Ainsi, ce détail physique, souvent perçu comme insignifiant par les adultes bienveillants, peut se transformer en source de complexes et de mal-être profond, surtout à partir de l’âge scolaire.

L’éducation et le discours parental jouent ici un rôle fondamental. Dès le plus jeune âge, les parents doivent écouter leur enfant sans dramatiser, valoriser sans nier. Cela veut dire être honnête et responsable envers lui. Il ne s’agit pas de dire à l’enfant que ses oreilles sont parfaites dans l’absolu alors qu’il est parfaitement conscient qu’elles sont différentes et pas jolies, mais plutôt de lui dire qu’elles font partie de lui, et que cette singularité n’enlève rien à sa beauté, à son intelligence ou à sa valeur. Par ailleurs, il est essentiel d’enseigner aux enfants que chaque corps présente certaines particularités, et que cela est une richesse, pas un défaut. Leur faire comprendre que les différences font partie de l’histoire de chacun et ne devraient pas être un frein à l’amour de soi.

Faut-il intervenir ou laisser faire ?

Le choix doit se faire en toute conscience et non pas sous pression. Corriger pour soulager un mal-être profond ? Ou au contraire, accompagner l’enfant dans l’acceptation de son corps tel qu’il est ? Il ne s’agit pas de céder à la pression sociale, mais de prendre une décision alignée avec les besoins de l’enfant. En effet, chaque enfant est unique, sa psychologie l’est aussi. Pour cela, une aide médicale est nécessaire pour déterminer l’impact de cette difformité, en apparence anodine, mais qui peut ravager le bien-être intérieur de l’enfant et devenir un frein à son épanouissement et à sa jovialité. À ce moment-là, intervenir devient légitime et la décision de se faire opérer pour corriger les oreilles décollées sera bien aboutie. En outre, il s’agit tout de même d’une intervention chirurgicale que les parents redoutent naturellement, et ça se comprend. C’est pourquoi de nombreux parents choisissent de ne rien faire et optent pour l’acceptation et apprennent à leur enfant la tolérance et que, par essence, la beauté échappe à l’uniformité. Toutefois, aucune décision n’est intrinsèquement bonne ou mauvaise, car la justesse d’un choix ne peut être universelle. Mais un jour, l’enfant devenu adolescent, ou même adulte, pourra toujours revenir sur ce choix et le réorienter à sa manière. Il franchira le pas que ses parents n’ont pas osé faire et aura recours à une otoplastie.

Oreilles décollées : le vrai du faux

Avoir les oreilles décollées empêche de bien entendre
Faux : Les oreilles décollées n’affectent pas l’audition. Le pavillon n’a pas de rôle direct dans la capacité à entendre les sons clairement.
Les oreilles se recollent avec le temps
Faux : Une fois que le cartilage a pris sa forme, les oreilles ne changent pas spontanément.
C’est un problème uniquement chez les filles
Faux : Le complexe n’a pas de genre. Les garçons aussi peuvent en souffrir, même s’ils en parlent moins.
Les oreilles décollées peuvent être corrigées
Vrai : Grâce à une chirurgie appelée otoplastie, les oreilles décollées retrouvent leur position normale et une forme plus définie.
Les oreilles décollées sont toujours de grande taille
Faux : Les oreilles décollées paraissent de grande taille car la forme sculptée du cartilage du pavillon fait défaut, ce qui donne cette illusion de grandeur.

Enfin, les oreilles décollées sont peut-être un détail. Mais elles racontent beaucoup : sur l’amour parental, sur la pression sociale, sur l’identité, sur la différence, sur la beauté. Faut-il intervenir ou non? Chaque famille fera son propre chemin. Mais une chose est sûre : ce n’est pas la forme des oreilles qui compte, mais le regard que l’on porte sur celles et ceux qui les portent. Et si ce détail fait parler, alors faisons en sorte que ces paroles soient pleines de respect, d’humour bienveillant, de liberté et d’amour.

Imen MEHRI TURKI

Médecin Expert Chirurgie Maxillofaciale et Esthétique

Laisser une réponse