Touchés comme beaucoup par le manque d’affluence des touristes durant la période estivale sur la cité des potiers, les artisans vivent une année assez difficile. Le festival de l’harissa de Nabeul, qui a dressé son chapiteau dans la belle «Dar Nabel» (ex-Dar Sidi Ali Azzouz, siège social de l’Association pour la sauvegarde de la ville de Nabeul, Asvn), leur offre une éclaircie dans la grisaille.
Après une petite averse de courte durée samedi 18 octobre, le soleil qui brillait le lendemain matin sur Nabeul ressemblait, pour bon nombre de producteurs d’harissa, à une petite éclaircie au cœur d’une année bien nuageuse, marquée par un été certes caniculaire, mais aussi par une baisse dans l’activité touristique dans la cité des potiers.
«Depuis le 5 janvier 2025, date de la clôture de la 10e édition du festival de l’harissa, c’est une véritable traversée du désert pour les producteurs », déplore Souhaila Zallel, productrice de Maâmoura, fidèle du festival de l’harissa depuis plusieurs années. En règle générale, elle participe à une dizaine de salons par an. Cette année, elle n’atteindra même pas la barre des cinq événements.
«C’est bon pour le moral»
« Le festival de Nabeul est l’événement phare qui me permettra d’écouler une grande partie de ma production avant les fêtes de fin d’année. C’est bon pour le moral de rencontrer des gens. On peut remercier l’Association pour la sauvegarde de la ville de Nabeul et le Pampat (Projet d’accès aux marchés des produits agroalimentaires et de terroir) d’avoir maintenu cette fête et coorganisé ce festival si important pour les petits producteurs», renchérit-elle.
Peut-être moins innovant et peu visible sur les réseaux sociaux, avec un peu moins de visiteurs (le festival aurait pu gagner en affluence en le programmant lors de la pause de mi-trimestre d’automne du 27 octobre au 2 novembre 2025, Ndlr) et d’animations de rue — à part l’ambiance remarquée lors de la parade de la troupe de chant liturgique et des apprenants cuisiniers, le premier jour du festival, l’événement a manqué de spectacles —, mais aussi un nombre d’exposants en légère baisse, le festival de l’harissa reste néanmoins un rendez-vous important pour les producteurs et la Mecque des aficionados du piment et de ses sauces piquantes.
«Ici à Nabeul, notre star ce n’est ni la mayonnaise ni le ketchup, mais l’harissa !», confie chef Khoubeib Dhouibi. « Plus qu’un condiment qui relève nos recettes et enchante nos papilles, l’harissa est un produit du terroir qui fait vivre des artisans pour ne pas dire des familles. C’est un véritable moteur de développement économique et social dans le Cap Bon, notamment pour les producteurs des villages et des petites villes comme Maâmoura, Menzel Horr et Korba », ajoute-t-il.
« Ça fait du bien »
« Quand pendant dix mois il ne se passe rien, c’est dur moralement », poursuit une autre artisane. Ce week-end à Nabeul, on sent que les gens s’intéressent plus que d’habitude à notre métier. Ils posent des questions sur la fabrication, le type de séchage du piment, au fumoir ou au soleil, les ingrédients, etc. Ça fait du bien», fait savoir Ferdaous Ben Salem.
Habituée du festival cap-bonais depuis sa création en 2015, la présidente du groupement de développement agricole (GDA), « El-Zemnia », et propriétaire de la marque artisanale « Nokhet el-Jdoud » (saveurs de nos ancêtres), Amira Makhlouf, partage le même constat.
« Les salons et les festivals ne sont pas légion ces derniers mois. A chaque fois, on est dans l’incertitude. On apprend trois jours, parfois 24 heures à l’avance, que tel ou tel événement est annulé. Si on veut bien prendre les virages, il faut être prévenu un mois à l’avance».
Comme d’autres, elle tire la langue après des mois de disette. « Les foires et les marchés constituent 50 % de mes activités, résume-t-elle. Il y a donc forcément un manque à gagner». Ce week-end à « Dar Nabel » lui permet donc de repartir de l’avant. «Je suis plutôt optimiste. Grosso modo, le festival s’est bien déroulé et ce malgré la baisse de la fréquentation par rapport aux éditions précédentes. Les autres années, les gens venaient pour se balader ou uniquement pour déguster. Là, ils viennent pour acheter».
Penser global, agir local
Pour survivre face à la concurrence, certains producteurs, à l’instar d’Imed Attig, ont dû remettre au goût du jour ce condiment, marqueur de notre tunisianité, proposant de nouvelles formules d’harissa : à la menthe, au cumin, aux prunes, etc.
Nul doute, le festival — avec ses étals colorés, ses rubriques culturelles entre chants liturgiques et ateliers de mosaïque, et ses conférences scientifiques autour des bienfaits du piment et de l’harissa — est un véritable coup de pouce pour les artisans et les producteurs locaux.
Toutefois, cette fête de l’harissa, qui ne dit pas son nom, a tous les atouts pour sortir de son cloisonnement local vers un rayonnement à l’échelle nationale voire internationale en adoptant le slogan « penser global, agir local ». Plus qu’un produit de terroir, l’harissa est l’un des socles identitaires d’un patrimoine culinaire tunisien trois fois millénaire.