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Dans le cadre des Journées cinématographiques de Carthage, l’acteur et réalisateur Mohamed Ali Nahdi a présenté son dernier long métrage « Round 13 », en projection spéciale au Théâtre des Régions. La séance a affiché complet, réunissant près de 700 spectateurs en une seule projection. Dans cette interview, il revient sur la genèse du film, ses choix artistiques et les différentes étapes de sa réalisation.

Commençons par le début. Comment est née l’idée du film ?

J’ai toujours rêvé d’interpréter le personnage d’un boxeur tunisien. C’est une idée qui m’habite depuis plus de vingt ans, bien avant que je ne passe derrière la caméra. Ce personnage me fascine autant pour sa dimension sportive que, surtout, pour sa profondeur psychologique. Je ne voulais pas seulement explorer l’aspect physique de la boxe, mais entrer dans l’intimité morale d’un boxeur issu d’un quartier populaire, d’où proviennent d’ailleurs la plupart des boxeurs.

Les années ont passé et j’étais pris par d’autres projets. Lorsque j’ai finalement envisagé de concrétiser cette idée, j’ai réalisé que j’avais pris de l’âge. Dépassant la quarantaine, je ne me voyais plus sur un ring. En revanche, l’idée de la boxe comme métaphore, soit ce combat extérieur et intérieur, ne m’a jamais quitté. Je me suis alors demandé quel combat affronte un boxeur lorsqu’il n’est plus sur le ring ? Quel défi peut-on lui inventer pour rester dans cette métaphore ?

Par coïncidence, j’ai rencontré à l’hôpital une femme accompagnée de son enfant malade après une longue journée d’attente. J’ai alors fusionné ces deux univers : celui du boxeur et celui de cette mère. De là est née l’idée du combat pour sauver un enfant malade. Le film raconte l’histoire d’un ex-boxeur vivant une belle histoire d’amour avec sa femme malgré leur condition sociale modeste. Il enchaîne les petits boulots pour faire vivre sa famille. Ils ont un fils unique. Le défi devient alors bien plus dur que n’importe quel combat sur le ring : sauver son enfant.

Le scénario a-t-il été écrit sur mesure pour Helmi Dridi et Afef Ben Mahmoud qui incarnent les parents ?

Le personnage du boxeur avait initialement été écrit pour moi. Mais, ma femme qui est la directrice artistique du film a insisté pour que je me concentre pleinement sur la réalisation. « Round 13 » est un film délicat qui demandait une implication totale dans la mise en scène.

Je connais Helmi Dridi de près puisque nous avons déjà joué ensemble dans un film français. Je savais qu’il avait pratiqué la boxe et qu’il connaissait très bien le milieu social que je souhaitais représenter. Il avait toutes les qualités nécessaires pour être crédible dans ce rôle. Je lui ai donc naturellement confié le personnage.

Comment avez-vous choisi l’enfant qui incarne Sabri, le fils malade ?

J’ai fait des repérages pour choisir la maison familiale, à Mellassine. C’est un quartier que je connais très bien car c’est celui de ma grand-mère. Un petit garçon s’est approché de nous, il m’a reconnu et m’a dit qu’il veut jouer dans le film. Il nous a même suivis de maison en maison. Devant son insistance, j’ai commencé à envisager sa proposition sérieusement. J’ai donc pris ses coordonnées. Nous avons organisé un casting de près de 300 enfants. Il est venu, nous l’avons filmé, et c’est lui que nous avons retenu à la fin. Il a montré une volonté incroyable. Il a appris son texte par cœur et il est resté extrêmement concentré. C’est un enfant très intelligent et très doué.

Ce résultat est-il dû à son talent naturel ou avez-vous eu recours à  un coach ?

J’ai moi-même assuré le coaching. Je m’occupe personnellement de la direction d’acteurs. C’est ce que j’aime le plus dans mon métier. Je lui ai également fait la préparation psychologique nécessaire, compte tenu de la sensibilité du rôle. J’ai tout expliqué aux parents. Sa mère n’est venue qu’une seule fois sur le plateau. Elle n’a pas pu supporter de le voir dans cet état, tant le rôle est douloureux.

Comment s’est déroulée votre collaboration avec votre père, le grand acteur Lamine Nahdi, durant le tournage ?

Ce n’était pas notre première collaboration. Nous avons déjà travaillé ensemble au théâtre. J’ai mis en scène deux de ses pièces et il a réalisé mon one-man-show. « Round 13 » est le deuxième film que nous faisons ensemble.

Sur le plateau, notre relation était strictement professionnelle, sans aucun traitement de faveur.

Alors que de nombreux films tunisiens récents sont considérés comme commerciaux et orientés vers le divertissement, n’est-ce pas un risque de faire un film de ce genre ?

Je crois profondément à la diversité du cinéma. Je défends tous les genres : commercial, cinéma d’auteur, expérimental, historique, fantastique… C’est cette pluralité qui fait la richesse du cinéma.

D’ailleurs, j’ai moi-même un projet de comédie commerciale que je compte réaliser à ma manière.

« Round 13 » est un film d’auteur de qualité, mais destiné au grand public. Il raconte une histoire, transmet un message, sans être élitiste ni exiger un niveau intellectuel particulier pour être compris.

Le film a été projeté dans plusieurs pays et primé à l’étranger. Peut-on parler d’un film universel ?

Oui, absolument. Cette histoire aurait pu se dérouler dans n’importe quel pays du monde. Notre toute première sélection a eu lieu dans un grand festival en Estonie, en compétition internationale.

Malgré une culture très différente de la nôtre, le public a été profondément touché par le film.

Auriez-vous préféré que le film soit retenu en sélection aux JCC, plutôt que d’être programmé en projection spéciale ?

Beaucoup de personnes m’ont dit que si le film avait été en compétition officielle, il aurait pu décrocher au moins deux prix, notamment grâce à la performance remarquable d’Afef Ben Mahmoud qui a d’ailleurs été récompensée à l’étranger. D’ailleurs, la Tunisie n’a remporté aucun Tanit cette année.

Que vous a apporté « Round 13 » par rapport à vos expériences précédentes ?

C’est un film fondamental dans mon parcours. Je le considère comme un tremplin, une étape charnière entre deux périodes de ma carrière. J’étais auparavant dans une phase très expérimentale. « Round 13 » est pour moi le film de la maturité. Il a surpris beaucoup de monde et je pense que mes prochains projets s’inscriront désormais dans une dimension plus internationale.

Vous préparez un documentaire sur vos parents, Lamine Nahdi et Souad Mahhassen. On a appris qu’il n’a pas été retenu par la commission des subventions. Le projet est-il toujours d’actualité ?

Oui, le projet est maintenu. C’est un documentaire qui me fait à la fois peur et plaisir. Il s’agit d’un documentaire hybride de création, loin du format classique basé uniquement sur des archives et des témoignages. Je préfère garder une part de surprise.

J’ai été très déçu par la décision de la commission des subventions. En revanche, le projet a reçu une aide de Doha à l’unanimité d’un jury international, alors même qu’ils ne connaissaient ni Souad Mahhassen ni Lamine Nahdi. Il a également obtenu le soutien d’Al Jazeera Documentary pour la coproduction.

Lorsque j’ai rencontré Madame la ministre des Affaires culturelles, elle m’a dit que ce projet dépassait ma personne. C’est un projet national, car il concerne deux figures majeures de la mémoire collective tunisienne. Il est dommage que la commission n’ait pas partagé cette vision. J’espère toutefois trouver une solution prochainement.

 

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