Vous avez très probablement croisé, en naviguant sur les réseaux sociaux, une vidéo de Cristiano Ronaldo chantant un chant islamique, ou encore une séquence où ce même Cristiano s’exprime en dialecte tunisien dans l’émission «Andi Ma Nkollek» d’Alaa Chebbi. Si cela n’était pas si improbable, on pourrait facilement y croire. En réalité, ces vidéos sont le fruit d’une technologie avancée qui permet de faire dire ou faire faire à n’importe qui ce que l’on souhaite, avec un réalisme saisissant. Ces outils, aujourd’hui de plus en plus accessibles au grand public, incluent des applications gratuites comme DeepFaceLab, Synthesia, ou encore Voicemod. Bien entendu, cette démocratisation rapide soulève de nombreuses questions éthiques, notamment sur les risques de désinformation, d’usurpation d’identité et d’exploitation malveillante de ces technologies.
IA et réseaux sociaux
Pour Souhir Lahiani, maître-assistante à l’Institut de presse et des sciences de l’information et chercheure en sciences de l’information et de la communication, cette prolifération de l’utilisation du Deepfake inquiète énormément.
«Ces vidéos truquées exploitant l’IA facilitent la manipulation de l’information. Ce phénomène pose un sérieux problème de désinformation, y compris en Tunisie, où la prolifération de contenus erronés affecte la perception publique et la confiance dans les plateformes digitales», déclare-t-elle à La Presse. Lahiani précise également que ce sont les réseaux sociaux qui permettent finalement de faire circuler ce type de «déformations de la réalité».
«Le 29 juillet 2024, une vidéo largement relayée sur Facebook semblait montrer le Président en exercice et candidat à sa réélection, Kaïs Saïed, présentant des excuses pour un incident survenu lors du festival d’Hammam-Sousse. Toutefois, une enquête approfondie a révélé qu’il s’agissait d’un montage.
À l’œil nu, un décalage perceptible entre la voix, les mouvements du visage et les paroles du Président laissait soupçonner une manipulation. Grâce à l’outil de vérification vidéo InVid, la vidéo originale a pu être retrouvée, confirmant ainsi la supercherie», note-t-elle.
D’autres exemples interpellent. Ainsi, selon notre interlocutrice, désormais, des individus malintentionnés exploitent des images de femmes, les modifiant à l’aide d’outils comme le «deepfake bot» pour les faire chanter ou usurper leur identité.
Ces manipulations sont si réalistes qu’il devient difficile de distinguer les images truquées des authentiques. Ce bot, propulsé par une intelligence artificielle, opère au sein d’une messagerie privée sur Telegram. Il suffit aux utilisateurs d’envoyer une photo d’une femme pour que l’outil génère en quelques minutes une version manipulée, la dénudant numériquement, et ce, gratuitement. Entre juillet 2019 et 2020, environ 104.852 femmes à travers le monde, dont des influenceuses renommées sur TikTok, ont été ciblées et ont vu ces images falsifiées circuler publiquement.
Mais avec la montée en puissance des deepfakes, des applications et plateformes spécialisées ont émergé pour détecter ces manipulations numériques sophistiquées. Parmi elles, Deepware Scanner analyse les fichiers audio et vidéo pour repérer des anomalies caractéristiques des deepfakes. Sensity AI, une plateforme avancée, propose des solutions basées sur l’Intelligence artificielle pour identifier les vidéos falsifiées, notamment en s’appuyant sur des signaux visuels subtils, comme des clignements d’yeux incohérents ou des ombres irrégulières.
D’autres outils comme Microsoft Video Authenticator évaluent la probabilité qu’une vidéo ait été manipulée en analysant chaque image pour y déceler des signatures artificielles. Ces technologies sont cruciales pour lutter contre les abus liés aux deepfakes, qu’il s’agisse de désinformation, d’arnaques ou d’usurpation d’identité, mais elles nécessitent une vigilance constante face à l’évolution rapide des techniques de falsification.
La sensibilisation est essentielle
«Il est essentiel de mettre en place des initiatives locales pour lutter contre la désinformation. Cela inclut le renforcement de l’éducation aux médias, le développement d’outils de détection des deepfakes et la collaboration entre les plateformes numériques et les autorités pour réguler ces contenus », recommande Souhir Lahiani.
Elle note également que les médias tunisiens s’efforcent toutefois d’instaurer une culture de vérification rigoureuse des faits. Toutefois, ces efforts restent insuffisants tant qu’ils ne s’appuient pas sur des outils innovants et sécurisés, explique la professeure.
En tout cas, pour vous, chers lecteurs et lectrices, une règle d’or s’impose : la prudence. Chacun doit adopter de bons réflexes pour se protéger. Ainsi, évitez de partager des informations personnelles ou des photos intimes avec des inconnus, soyez vigilants face aux vidéos et enregistrements audio qui semblent trop sensationnels pour être vrais, et vérifiez toujours vos sources avant de relayer un contenu. N’oubliez pas ! La désinformation prospère sur la crédulité.