Fatma Ben Saïdane a montré au fil des décennies des performances exceptionnelles. Des planches au grand et au petit écrans, elle a su naviguer entre les genres et attirer l’attention, dès ses débuts, par son charisme naturel et son talent brut. Son parcours est marqué par de nombreuses distinctions qui ont salué son travail, dont même un timbre postal depuis 2023. Elle nous accompagne durant ce mois de Ramadan à travers son rôle dans « Raggouj ». En parallèle, un nouveau projet théâtral est en vue. Nous l’avons rencontrée pendant les répétitions. Entretien.
Vous êtes actuellement en train de préparer votre prochaine pièce de théâtre. Vous avez également plusieurs films à votre actif et vous jouez dans la deuxième saison de « Raggouj ». Entre le cinéma, le théâtre et la télé, lequel préférez-vous ?
Je suis faite pour être sur les planches. D’ailleurs, la toute première pièce à laquelle j’ai participé a été couronnée par le premier prix du Président de la République. Elle est intitulée « Mère courage ».
Je ne m’y attendais pas du tout. J’étais chez moi quand j’ai appris cette consécration à la radio. Je répète toujours qu’au théâtre je crée, devant la caméra j’interprète. Il y a un autre plaisir, une extase dans cette rencontre avec le public. De plus, il y a toujours une place à l’improvisation, à l’apport personnel.
Mes performances ne se ressemblent pas et le même personnage est différent à chaque fois en fonction de ce que je ressens et surtout la réaction du public. Le public est un partenaire. Je ne joue pas pour lui, je joue avec lui. Quand je suis sur scène, je m’oublie. Je ne suis plus Fatma. Je deviens habitée par le personnage qui déploie ses ailes progressivement.
Quelle est la recette de votre succès qui fait que vous soyez aussi sollicitée par les réalisateurs ?
J’ai collaboré avec tous les grands noms ou presque au théâtre et au cinéma. J’ai même joué dans des films étrangers dont celui de Franco Rossi. Je pense qu’ils m’appellent parce que je suis sincère dans ce que je fais.
J’aime mon métier et je me consacre totalement à mes rôles. Je ne joue pas. Je suis le personnage. Même s’il n’y a pas une référence qui correspond à ce rôle dans notre société, je fais des recherches. Un artiste qui croit en son art interprète tout. Je peux être violente, arrogante… Après, je redeviens la femme timide et réservée que je suis en réalité.
Je pense à votre rôle dans le film « El Jaida » de Salma Baccar. Une gardienne de prison d’une grande cruauté. Est-ce que ça ne vous dérange pas de vous mettre dans la peau d’un personnage aussi détestable ?
Je n’appréhende jamais la réaction du public quand je joue un personnage méchant.
L’art n’exclut pas les minorités. Un acteur ne doit être ni homophobe ni xénophobe. C’est comme un médecin, un enseignant, un artisan.. Il ne peut pas être sélectif. Il doit être ouvert sur toutes les catégories sociales et les accepter. Si je campe un personnage, je montre d’autres facettes de son caractère. Ce n’est jamais noir ou blanc.
À chacun ses vices et ses moments de faiblesse. Des fois, au théâtre, on aborde même des aspects tragiques d’une manière hilarante mais très sincère. Le public éclate de rire, mais en réalité il rit de ses propres malheurs.
Parlons de votre participation dans « Raggouj ». Qu’est-ce qui explique, selon vous, le succès de ce feuilleton depuis la première saison ?
C’est un feuilleton qui n’est pas comme les autres. Tout comme “Ken ye mekenech” du même réalisateur. Abdelhamid Bouchnak n’imite personne.
Il a sa manière unique de traiter des thèmes sociaux. Loin des villas, du luxe, des drogues et du bling-bling, il a choisi un village plus qu’ordinaire avec des personnages familiers.
Pour cette saison, il a créé de nouveaux axes très intéressants.
Un autre élément qui fait le succès de « Raggouj », c’est l’ambiance du tournage. Nous avons travaillé dans le confort, le respect et la bonne humeur.
Nos liens ne se limitent pas aux heures du tournage. Nous sommes une équipe solidaire, en symbiose et nous tenons absolument à faire réussir ce feuilleton.
Comment est votre relation avec les jeunes comédiens, notamment les talents en herbe ?
Ce n’est pas la première fois que je collabore avec des jeunes. Je l’ai toujours fait au théâtre. Au début, je les vois avec le trac avant de passer devant la caméra ou de monter sur scène, surtout quand il y a de grands noms en tête d’affiche. Après, ils prennent confiance en eux. J’essaie toujours de les encourager et de les mettre à l’aise. Je leur dis que, moi aussi, ça m’arrive d’oublier, de ne pas maîtriser quelques scènes aisément. D’ailleurs, les premiers jours, je suis Madame Fatma. Après, je deviens rapidement Fattouma. C’est très important même sur le plan professionnel de gagner la confiance et que toute l’équipe soit décontractée.
Moi-même quand je fais des répétitions et pendant le tournage, je ne cesse de demander si c’était bien. Je veux qu’on me fasse des remarques, qu’on me donne des critiques. Je ne suis pas arrogante. L’œil extérieur est très important. Je veux qu’ils soient satisfaits de ma performance, que ça soit exactement le personnage comme ils l’ont imaginé.
On a remarqué une tendance à la violence dans les feuilletons qui s’accentue depuis quelques années. Qu’est-ce que vous en pensez ?
La violence est là et j’en parle dans mes pièces de théâtre. J’ai même une pièce intitulée « La violence » (Al Onf) sur les agressions en milieu scolaire. En fait, ça dépend de l’angle et il ne faut pas généraliser ce côté. Je préfère étudier les causes et y remédier plutôt que de montrer tout à l’état brut au public. Le problème, c’est que notre production de feuilletons se limite au mois de ramadan. Toute la famille est à table. On ne peut pas envoyer les enfants dormir par force pour les protéger. On a plein de sujets importants à déployer à part la violence. Un feuilleton est un projet artistique qui a une vision propre. Il faut satisfaire tous les goûts tout en ayant conscience de présenter un produit de qualité.
Les critiques des œuvres ramadanesques ont commencé dès le premier jour sur les réseaux sociaux. Faut-il vraiment se fier aux commentaires des internautes ?
Je ne suis pas adepte des réseaux sociaux. Le problème, c’est qu’on ne sait pas critiquer. On agresse directement. Je ne comprendrai jamais le recours à des propos haineux pour émettre un jugement sur une œuvre ou sur la performance d’un artiste. Je l’ai vécu moi-même à maintes reprises de la part de personnes qui n’ont même pas vu mes films et mes pièces. La plupart des Tunisiens sont cultivés et ont le sens de la morale. C’est une minorité qui sème le trouble sur les réseaux ils ne sont pas légion.