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Yassine Salhi s’est imposé comme un comédien à la plume affûtée et à l’humour réfléchi.  Son one-man-show « Me ydhahaknich » est  joué à guichets fermés dans plusieurs festivals. Son rôle dans la série ramadanesque « Arrière lgoddem » a également rencontré un franc succès. Dans cet entretien, il revient sur sa vision de l’humour et son parcours atypique de créateur de contenu à la scène.

Vous n’avez pas de formation académique en théâtre. Vous avez d’abord été créateur de contenu avant de lancer votre pièce « Me ydhahaknich ». Comment cette transition s’est-elle faite ?

Tout a commencé très tôt avec l’écriture. Enfant, je participais à des concours et j’ai même remporté plusieurs prix. C’est par l’écriture que j’ai affiné ma sensibilité artistique. J’ai beaucoup appris en autodidacte, à travers mes lectures, des ateliers et des clubs. Ensuite, j’ai fait des courts-métrages avec des moyens très modestes. Les critiques étaient parfois dures, voire décourageantes, mais elles m’ont poussé à persévérer. Avec le temps, j’ai commencé à remporter des distinctions.

On m’a ensuite suggéré de m’orienter vers l’humour pour capter plus facilement l’attention du public. J’ai tenté l’expérience à travers des stand-up tout en continuant à perfectionner ma gestuelle, ma voix, ma présence scénique… Au début, je ne me considérais pas vraiment comme humoriste.

Puis j’ai commencé à publier de courtes vidéos sur Facebook. Elles n’ont pas eu beaucoup d’impact au départ jusqu’à ce qu’un inconnu les partage sur TikTok dans le but d’augmenter sa propre audience. Par effet boule de neige, ces vidéos ont généré des dizaines de milliers de vues. J’avoue que ma visibilité a décollé en grande partie grâce à lui. C’est ainsi que le public a cru en moi et les gens ont été nombreux à venir me voir pour la pièce.  Pour la toute première représentation, j’ai tout fait moi-même sans producteur en dépit des obstacles. J’ai loué une salle et le matériel nécessaire. J’ai imprimé des affiches et des tickets…  Et, ça a marché !

Vous continuez à produire des vidéos pour les réseaux sociaux même après avoir acquis une certaine notoriété. Quelle place occupe ce travail aujourd’hui ?

C’est avant tout un moyen de maintenir ma présence et de rester en contact avec mon public.

Mais il faut comprendre que le format vidéo obéit à des codes très différents de ceux du spectacle vivant.

L’humour en ligne a ses propres mécaniques et sa manière bien à lui de capter l’attention. Ce n’est pas juste un extrait de scène filmé. Je le vois comme un autre volet de mon travail complémentaire mais distinct.

Pouvez-vous nous parler du contenu de votre pièce ?

La pièce est basée sur un travail de recherche sur notre langage du quotidien : expressions populaires, proverbes, tournures locales… Chaque séquence part d’un mot ou d’une expression dont je creuse l’origine pour ensuite rebondir sur des aspects de notre vie actuelle.

J’y aborde des thèmes comme l’éducation des enfants, la psychologie, les relations humaines… Ce n’est ni autobiographique ni conçu pour flatter le goût du public. J’ai écrit le texte avec sincérité,  comme je le ressentais.

C’est un contenu familier. Le ton est simple et accessible même pour les enfants. Et surtout, chaque représentation est unique. Il y a toujours une part d’improvisation et j’écris à chaque fois au moins un passage inédit de cinq minutes rien que pour la soirée.

Certains spectacles misent sur des contenus osés pour faire rire. Ce n’est pas votre cas. Pourquoi ce choix ?

Je suis à l’opposé de cette approche. C’est même ce qu’il y a de plus facile en écriture comique. En dehors de la question morale, je trouve que provoquer par le tabou est un raccourci sans intérêt, souvent creux et sans créativité. L’écriture comique, la vraie, est bien plus exigeante que celle du suspense. C’est une spécialité à part entière. Pour moi, un humoriste ne doit pas se croire plus malin que son public. Je préfère travailler sur des idées nouvelles qui peuvent être audacieuses dans le fond, mais pas vulgaires dans la forme.

Vous évoquez souvent des notions de philosophie, y compris dans les vidéos que vous publiez sur les réseaux sociaux …

C’est vrai et c’est lié à mes lectures personnelles et à mon entourage. Cependant, la pièce n’a pas vocation à être didactique, mais plutôt à inviter à la réflexion sans imposer un cadre figé.

Comment avez-vous réussi à toucher un large public sans recourir aux moyens publicitaires classiques ?

C’est le public lui-même qui a fait circuler le message. Après chaque représentation, les retours ont été très positifs, et le bouche-à-oreille a fait le reste. Certains spectateurs influents ont partagé leur enthousiasme, ce qui a élargi encore davantage l’audience. Je suis aussi très réactif sur les réseaux. Je réponds moi-même aux messages car j’ai besoin de ce lien direct avec les gens. Je sais où je veux mener mon projet et ce contact m’aide à y parvenir.

Quand vous montez sur scène face à une salle archicomble, quelles émotions vous traversent ?

Il y a forcément du stress, mais surtout un grand sens des responsabilités. Le public vient avec des attentes et chaque spectacle demande une vraie préparation. Je fais des recherches, j’ajuste le texte, je répète…  Pour moi, le véritable indicateur de réussite, c’est le moment où le public se lève à la fin pour une standing ovation.

Comment évaluez-vous aujourd’hui la scène du one-man-show en Tunisie ?

Chaque artiste suit son propre parcours avec des méthodes et des démarches différentes, ce qui est fortement enrichissant. Il y a des règles claires en rapport avec l’incitation à la haine, la violence.  Pour le reste, ce qui fonctionne pour l’un ne fonctionne pas forcément pour l’autre. La réception d’un spectacle dépend aussi beaucoup du contexte, notamment l’époque, l’état d’esprit du public, les références culturelles du moment… Un très bon spectacle peut passer inaperçu ou être vite oublié, tandis qu’un autre, longtemps ignoré, peut revenir sur le devant de la scène des années plus tard et rencontrer un véritable succès. Rien n’est figé. C’est un domaine mouvant où il faut savoir s’adapter tout en restant fidèle à ce qu’on a à dire.

Est-ce que vous êtes ouvert à des collaborations en dehors de votre propre spectacle ?

Oui, bien sûr. Mon expérience dans « Arrière lgoddem » a été très agréable. L’entente avec Bassem Hamraoui a été excellente. Il m’a accordé une vraie marge de liberté  et j’ai même pu participer à la création du personnage. Je suis toujours partant pour des projets qui me parlent.

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