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Le maestro Jihed Jbara est à l’affiche des spectacles «Kolna Nghani», où le public devient lui-même la chorale, et «Sinfonica-spécial tubes français». Après une année marquée par un immense succès, il a enchaîné les représentations sur les plus grandes scènes de Tunisie, souvent à guichets fermés. Derrière cette série de concerts, un jeune artiste déterminé à la tête de plusieurs projets innovants et qui avance avec assurance. Entretien.

Revenons à vos premiers pas. Comment s’est fait le passage de vos débuts à la scène professionnelle ?

Je suis ingénieur de formation, mais ma passion pour la musique a rapidement pris le dessus. C’est en accompagnant mon père, photographe, lors de soirées musicales, que j’ai découvert cet univers fascinant. J’ai d’abord suivi une initiation au conservatoire, mais c’est surtout en autodidacte que j’ai évolué. En parallèle avec mes études, j’ai eu la chance de jouer aux côtés d’artistes tels qu’Abdelbasset Belgaïed ou Ahmed Chhaïbi. Ce sont eux qui m’ont particulièrement encouragé à persévérer dans cette voie. J’ai été claviériste de 2012 à 2019. Mon premier projet en tant que tête d’affiche est arrivé plus tard, même si j’avais déjà collaboré avec de nombreux artistes de renom en tant que chef d’orchestre et directeur artistique : Hela Melki, Aymen Lassigue, Chirine Lajmi, Chamseddine Bacha, Hassen Doss, entre autres.

Quelles sont selon vous les compétences requises pour être un bon chef d’orchestre ?

Il faut avant tout une forte personnalité. La gestion d’équipe est essentielle, surtout lorsqu’elle est composée de profils très différents. Il faut savoir quand être strict, comment responsabiliser chacun, et, en même temps, entretenir un lien humain et amical. C’est du cas par cas. On peut avoir dans un même orchestre des docteurs en musique et des autodidactes. Le casting est donc un travail délicat qui dépend aussi du genre musical et du répertoire à interpréter.

Il y a un gros travail à faire pendant les réunions et les répétitions. La plus grande contrainte reste la disponibilité des musiciens, notamment en été où les dates de festivals sont souvent fixées à la dernière minute. Dès qu’un musicien est remplacé, il faut reprendre les répétitions à zéro. Je suis perfectionniste et parfois cela peut être perçu comme un défaut qui dérange. Même si je suis le leader, l’architecte du projet, les musiciens qui jouent ont aussi une énorme responsabilité, surtout avec la concurrence. Après le spectacle, je vérifie au casque chaque instrument à part pour détecter des failles éventuelles au niveau de la performance et les rectifier avec le musicien en question. Je dois même faire attention à l’aspect vestimentaire de l’ensemble. Je ne suis jamais satisfait à 100 % de mes spectacles. Je reste réaliste, j’ai les pieds sur terre, mais je veux toujours progresser. Je me compare aux grands événements égyptiens, turcs, américains…J’ai donc acquis cette réputation d’être très exigeant, ce qui fait que je ne m’entends pas avec tout le monde. D’ailleurs, je garde les musiciens que je considère comme étant les piliers de mes projets artistiques depuis des années.

L’idée des concerts où le public chante a été lancée par Boudchart. Certains y voient un concept facile, sans grand intérêt artistique. Comment défendez-vous votre spectacle ?

C’est une idée qui existe déjà en Europe, en Egypte, au Liban, et même en Chine. Mais c’est Boudchart qui a importé ce format chez nous. Cela dit, nous ne travaillons pas sur ce concept de la même manière, ni sur le même répertoire.

Ce type de spectacles a un objectif clair: permettre aux spectateurs d’évacuer le stress du quotidien. Peut-être est-ce la raison pour laquelle notre public est majoritairement féminin. Pour les hommes, il y a les chants de stades… En dirigeant les musiciens, j’observe en parallèle avec beaucoup d’attention les réactions de la foule présente. Ce qui me touche le plus, c’est de voir des hommes d’un certain âge chanter et danser avec nous. Cela me booste énormément. C’est une expérience collective, un partage d’émotions et d’énergie. Le spectateur ne reste pas passif. Il devient un élément central du concert. Il écoute, chante, danse.. Il vit pleinement l’instant ! Je modifie le programme en continu selon le festival, la ville et à la demande du public.. D’ailleurs, il y a des personnes qui viennent nous voir plusieurs fois, même pour deux concerts successifs.

Quelle est la différence entre « Kolna nghani » et votre spectacle « Arabica » ?

« Arabica » a été interrompu après deux représentations suite à la forte demande sur « Kolna nghani ». Il est centré autour d’un grand piano à queue avec une chorale de professionnels. Musicalement, le répertoire est plus complexe avec des passages harmoniques exigeants. On y retrouve des œuvres de Wadii Safi, Melhem Barakat et d’autres grands noms du répertoire oriental.

« Sinfonica » est, par contre, fait de reprises d’anciens tubes français.  Est-ce qu’il s’adresse à une audience particulière ? Et quelles sont les difficultés qu’il pose ?

Nous sommes les seuls à travailler sur un projet qui réunit les quatre grandes légendes de la chanson française Dalida, Edith Piaf, Jacques Brel et Charles Aznavour. Le public est exigeant puisqu’il connaît parfaitement les chansons que nous interprétons, souvent depuis des décennies. Il faut donc faire très attention à tout : les textes, l’interprétation, même la prononciation. J’ai collaboré avec Wadii Belghith sur les arrangements pour garantir un résultat d’excellente qualité. Lors du festival de Hammamet, six musiciens français nous ont rejoints sur scène. Nous jouons avec un orchestre complet et avec des moyens techniques de sons et de lumières de haut niveau.

Vous avez annoncé des concerts prévus à l’étranger. Quel type de public ciblez-vous ? Et comment envisagez-vous d’exporter « Sinfonica », ce spectacle consacré à la musique française, en France, sur son propre territoire ?

Il y a des dates confirmées et d’autres en cours de négociation à Paris, à Nice, au Canada, au Qatar et au Maroc. Nous avons déjà présenté « Kolna Nghani » au Casino de Paris en février dernier. Le public était très varié, composé de personnes venues de nombreux pays arabes. Pour la suite, nous souhaitons préparer un concert spécial Grand Maghreb avec un répertoire commun aux trois pays maghrébins. Pour « Sinfonica », beaucoup d’artistes reprennent des tubes de la chanson française, mais il existe peu de projets réellement structurés comme le nôtre. C’est là que nous pensons pouvoir nous démarquer. Sur scène, nous jouerons avec des musiciens français. Je vois très bien ce spectacle à l’Olympia ou au Palais des Congrès. Ce serait une consécration. Je ne veux pas me limiter au marché local. Comme je vise toujours plus haut, je travaille dur et je cherche constamment à perfectionner mes projets. Je me donne donc la liberté de rêver grand et je me fixe des objectifs toujours plus ambitieux.

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