Amira Derouiche est une charmante et talentueuse actrice qui avance tout doucement, mais sûrement, pour se faire une belle place. Sa carrière est sur les bons rails, avec des expériences assez importantes. Elle a joué dans des séries qui ont cartonné au mois de ramadan comme « Naouret lahwe » et « Awled el Ghoul », ce qui lui a donné une certaine notoriété auprès du public tunisien. Actuellement, elle est à l’affiche du film « Ennafoura » ou « La Maison dorée » de Salma Baccar aux côtés de Rim Riahi et Ranim Allouani. Le film tourne autour du destin de trois femmes issues de milieux différents. Au-delà du drame personnel et familial, ce film est empreint d’éléments liés à l’Histoire de la Tunisie post-révolutionnaire. Il évoque, entre autres, l’assassinat de Mohamed Brahmi en 2013 et le sit-in quand les protestataires campaient chaque soir devant les grilles du palais du Bardo. À l’occasion de la sortie du film, l’heure était venue d’en savoir un peu plus sur Amira Derouiche qui y incarne « Saloua », une femme aussi charismatique qu’énigmatique.
Vous êtes architecte de formation. Comment vous êtes-vous alors dirigée vers le milieu artistique ?
Oui, je suis architecte de formation. Je ne pratique plus et je préfère actuellement me concentrer sur ma carrière d’actrice. Mais je reste architecte dans mes idées et ma manière d’aborder les choses. J’étais très active dans le domaine artistique depuis mon enfance. J’ai fait de la danse et du théâtre. J’étais aussi dans la chorale de la maison des jeunes. Une véritable passionnée. Pour moi, c’était naturel de prendre cette voie. Je n’y ai pas trop pensé. J’ai su très tôt ce que je voulais faire.
Votre tout premier rôle a été dans le film « Bastardo ». Comment l’avez-vous décroché?
C’était en 2012. Salem Daldoul m’a appelée pour le casting. J’ai accepté immédiatement bien que c’était un petit rôle. Je voulais surtout m’exercer, tourner au cinéma comme une véritable pro et élargir mon réseau professionnel. C’était avec Nejib Belkadhi et une grande boite de production. L’équipe était bien. Je me rappelle des premières scènes que j’ai tournées. Je me suis sentie directement dans mon élément. Il y avait ce sentiment de trac, pas à cause de la caméra, mais parce que je tenais tellement à donner le meilleur de moi-même et être à la hauteur des grands noms à l’affiche.
Suite à ce démarrage, dans quels autres projets avez-vous participé ?
Après « Bastardo », j’ai enchaîné les courts métrages avec des rôles principaux. « Tout est bien qui finit bien », « Mra w nos », « Le Cadeau »…
J’ai également fait un casting pour le feuilleton« Naouret lehwe » et c’était ma première apparition à la télé devant un large public. Ensuite sont venus «Al akaber», « Warda w kteb», « Awled l ghoul», « Jnoun l kayla» et « El balace». J’ai aussi participé à des pièces du Théâtre national tunisien dont « Soukoun » en 2021.
Entre le petit et le grand écran, lequel préférez-vous ?
Le cinéma évidemment. Il a un charme particulier. De plus, l’approche est différente ainsi que l’organisation du travail. C’est plus profond et nous prenons tout notre temps pour un rendu perfectionné. Le rythme de tournage à la télé est beaucoup plus rapide. L’accord de financement et la recherche de sponsors occasionnent toujours beaucoup de retard et font qu’il y a après une pression de temps. Il faut alors filmer le maximum de séquences par jour.
Parlons de votre rôle dans « Ennafoura ». « Saloua » a son propre univers chargé de tension et de secrets, où chaque geste et chaque regard comptent. Elle a aussi son look et ses manières un peu spéciales. Est-ce que tous ces détails figurent dans le scénario ou s’agit-il de votre touche personnelle ?
Tout a été travaillé avec l’écrivaine Emna Rmili et la réalisatrice Salma Baccar depuis l’écriture du scénario. « Saloua » a été conçue dès le début pour apporter son côté peps et son dynamisme. Elle allège l’atmosphère avec ses blagues et ses fous rires. C’est une fille légère, plutôt facile, qui vient du monde de la nuit. Sa rencontre avec les autres résidentes de La Maison dorée a fait qu’elle enlève ce masque et montre ses facettes humaines. Il y a beaucoup d’éléments qui devaient être précisés dans le film sur le niveau intime en rapport avec le vécu des personnages comme à un plan plus large en rapport avec le contexte politique et historique. Grâce à la direction d’acteurs de Salma Baccar, nous en avons discuté pleinement et elle m’a transmis comment elle a imaginé le personnage jusqu’aux moindres détails. Rien n’a été laissé au hasard en ce qui concerne « Saloua » : la couleur de ses cheveux, son style vestimentaire, sa façon de parler et d’agir…
Est-ce que vous n’avez pas eu peur d’accepter ce rôle audacieux ?
C’est vrai qu’il ne ressemble pas à mes rôles précédents et c’est justement pour cette raison que je l’ai fortement apprécié. Un acteur doit varier ses rôles. C’est enrichissant pour moi. Je n’ai pas eu peur de jouer ce rôle particulièrement. En fait, j’ai ce sentiment à chaque nouvelle expérience, ce que je considère comme étant un bon signe. C’est ce qui me permet de ne pas tomber dans la facilité, de me concentrer davantage sur le personnage et de prendre le temps d’y réfléchir.
Vous n’appréhendez pas les réactions ?
J’ai une confiance absolue en Salma Baccar. J’ai vu tous ses films et je sais qu’elle n’est pas pour les scènes osées gratuites. C’est placé dans un contexte bien étudié et elle mise sur l’imagination du spectateur.
Actuellement, nous avons sept films tunisiens en projection dans les salles. Comment voyez-vous cette concurrence serrée ?
C’est une concurrence qui est plutôt positive. Le nombre de films est synonyme d’activité culturelle prospérante et stimule le public pour venir découvrir le contenu. À voir les Tunisiens faire la queue devant les guichets, on ne peut que se réjouir de cette relation solide qui s’établit entre le public et les salles. C’est devenu une sorte de rituel, une sortie hebdomadaire en famille ou entre amis. Les films commerciaux produits récemment ont beaucoup aidé dans ce sens. Les espaces de haute qualité dans les centres commerciaux contribuent aussi à drainer plus de public pour qu’il se réconcilie avec les salles.
Ne doit-on pas craindre pour l’avenir du cinéma tunisien vu les films commerciaux légers ?
Les films d’auteurs s’affirment encore et toujours à l’échelle nationale et même dans de grands évènements à l’étranger et continuent à cumuler les nominations et décrocher des trophées. Mais il faut quand même que des films de genres différents soient produits : comédies, thrillers… C’est ainsi que l’équilibre se crée pour que chacun puisse trouver une création à son goût.
Revenons à votre parcours. Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ?
Je veux incarner d’autres rôles engagés et qui mettent plus en valeur mes capacités d’actrice. Je veux également collaborer avec d’autres metteurs en scène avec des visions nouvelles. Travailler avec les jeunes talents est également très intéressant pour moi.
Est-ce que vous n’êtes pas tentée par une carrière en Egypte ?
Non. Ce n’est pas aussi aisé qu’on le fait croire. Si on me contacte pour un bon rôle, je pourrai accepter. Sinon, je ne vois pas pourquoi j’irai m’installer là-bas.